Depuis sa prise de fonction en novembre 2019, l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) a représenté le peuple d'une drôle de manière. Affiches, slogans, t-shirts portant des slogans politiques, sit-in à l'intérieur de l'enceinte du Parlement. Toutes les formes de protestation y sont passées dans un joyeux capharnaüm qui ferait presque oublier le pourquoi de l'élection de ces élus du peuple. Un salut nazi brandi par un député dans l'enceinte du Bardo ? Dans les faits, il n'en est rien. Un photomontage grossier qui a été massivement partagé sur la toile suscitant l'indignation mais non la surprise. On y voit un député arborant la moustache emblématique d'Adolf Hitler et faisant le salut nazi en pleine plénière. Si l'image est évidemment une intox, elle n'en est pas moins symptomatique du mal qui ronge les sièges du Bardo où plus rien n'étonne…
Mercredi 17 mars, une plénière a été consacrée à l'examen du projet de loi sur l'économie sociale et solidaire. Un sujet très sérieux qui n'a pourtant pas empêché les députés de reporter l'attention ailleurs. Les députés du bloc Al Karama, à leur tête Seif Eddine Makhlouf, ont eu l'idée de brandir une photo de l'ancien président égyptien, Mohamed Morsi, avec la mention « Paix à l'âme du martyr ». Un positionnement idéologique qui n'a pas manqué d'exaspérer les élus du PDL et de Qalb Tounes. S'en suivent des chamailleries dans l'enceinte du Parlement que la vice-présidente Samira Chaouachi a eu du mal à maitriser. Elle n'a d'ailleurs pas remarqué la présumée agression dont la députée du bloc de la Réforme nationale, Nesrine Laâmari dit avoir été victime par le député Al Karama, Mohamed Affes qui l'aurait agressée verbalement et voulu la frapper. Derrière tout ce grabuge, la photo de Mohamed Morsi. Une photo contre laquelle les élus du PDL se sont insurgés, la qualifiant de « provocation évidente » et ont refusé la poursuite de la plénière tant que la photo du défunt président islamiste n'aura pas été retirée.
Comportement de mauvaise foi venant de députés qui ont fait du Parlement une scène de manifestation. Le PDL a en effet été le premier à ouvrir le bal des slogans avec son fameux sit-in observé alors que le Parlement venait tout juste d'être installé.
En décembre 2019, alors que le Parlement discutait la loi de finances complémentaire 2019, le PDL décide de camper littéralement dans l'enceinte du Bardo. Avec leurs couvertures, les députés protestaient contre « les insultes » d'une élue d'Ennahdha. La députée Jamila Ksiksi avait, en effet, traité les députés du PDL de clochards, tout en les accusant de banditisme. Les sit-inneurs disent lutter « pour restituer le prestige et la valeur de l'ARP, celui des Destouriens et de l'Etat tunisien ».
En mai dernier, le bloc du parti destourien libre de Abir Moussi a observé un autre sit-in d'une semaine dénonçant « l'agression verbale dont a été victime la présidente de son parti, Abir Moussi » à qui on a demandé de retirer une photo de Habib Bourguiba ainsi que la pancarte fustigeant Rached Ghannouchi.
Présidente de la commission de l'énergie, Abir Moussi avait placé devant elle une pancarte appelant au retrait de confiance du président de l'ARP, Rached Ghannouchi et la photo du leader Habib Bourguiba. Toute une plénière, aux retombées quasi-inutiles, a d'ailleurs été organisée pour questionner le président du Parlement Rached Ghannouchi sur sa diplomatie parlementaire.
Dans les tiroirs de l'ARP, des projets de loi patientent depuis 2014 pour passer en plénière. Certains concernent des partenariats avec des pays comme le Soudan, la Guinée, etc. D'autres ont trait à des réglementations dans le domaine du transport, des garderies et jardins d'enfants, du monde du cinéma, de l'agriculture et la pêche, etc. L'élection des membres de la cour constitutionnelle patiente de report en report. Encore une fois, le bureau de l'ARP vient de reporter la date limite de dépôt des candidatures pour la cour constitutionnelle à aujourd'hui, 19 juin. Pourtant, la mise en place de la cour constitutionnelle, et autres institutions constitutionnelles et instances indépendantes, figure parmi les priorités des élus du peuple. Prévue par la Constitution de 2014, elle n'a pourtant pas encore vu le jour en l'absence de consensus impossibles à établir. Des projets de loi d'une importance capitale continuent à croupir dans les tiroirs du Parlement et sont réexaminés de commission en commission. Parmi eux, le projet de loi de la responsabilité médicale qui tarde à voir le jour malgré les indignations répétées des médecins et du personnel soignant.
Les députés sembleraient avoir d'autres chats à fouetter. Au milieu des chamailleries de tout genre, des plénières consacrées à des projets de loi et des motions très difficiles à assumer. Une motion demandant des excuses à la France pour la période coloniale, proposée par Al Karama, fait suite à une déclaration du Parlement tunisien refusant toute ingérence étrangère en Libye, proposée par le bloc parlementaire du Parti destourien libre (PDL). Deux blocs qui s'affrontent et font du Parlement un véritable terrain de jeu.
Comme un enfant auquel on aurait donné un jouet beaucoup trop sophistiqué pour lui, les élus du peuple ne savent quoi faire du pouvoir qu'on leur a conféré par les urnes. Et ils font tout pour le faire savoir. Le 25 juin courant, une plénière sera consacrée au dialogue avec le gouvernement sur le bilan des 100 premiers jours notamment à la lumière de la crise économique actuelle et de la pandémie Covid-19. Les débats s'annoncent rocambolesques. Pour ne rien arranger, Al Karama propose aujourd'hui une initiative législative visant à criminaliser toutes les formes de prostitution et de proxénétisme. Pour les Tunisiens, ce mandat parlementaire s'annonce pénible…