J'aimerais revenir sur Sejnane et sur ce qui s'y déroule depuis une semaine rien que pour informer, objectivement, nos lecteurs sur les raisons qui nécessairement poussent d'honnêtes paysans ainsi que leurs familles à s'allier au diable s'il le faut pour s'assurer du minimum vital de subsistance. Il semblerait que des salafistes aient réussi à « enrôler » la population. Plusieurs versions circulent quant à la manière utilisée pour ce faire mais surtout sur l'importance des adhésions populaires à ces groupuscules et à leur idéologie. Aux dernières nouvelles, une délégation de la LTDH s'est déplacée, dimanche 08 janvier, pour enquêter sur ces événements suite à des plaintes déposées par certains habitants accusant les Salafistes de violences et de voies de faits. Mais revenons à Sejnane pour planter le décor et pour essayer de comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire montée en épingle. Sejnane, tout comme Joumine et Ghezala appartiennent au gouvernorat de Bizerte. Dans l'imaginaire du Tunisien subsiste encore de Bizerte cette image d' « un bout de France » en Tunisie avec tout ce que cela implique comme attributs d'un développement urbain, social et économique débridé. Or, le paradoxe est que, hormis quelques cités de l'est de la région comprenant Bizerte, Menzel Bourguiba, Mateur et Ras-Jebel, tout le reste constitue un arrière-pays où la misère et le dénuement règnent souverainement. Comme de juste, alors que l'essentiel des investissements et des engagements budgétaires sont concentrés dans la frange littorale, à peine quelques miettes sont consacrées aux régions de l'hinterland formé de ces trois délégations et de leurs Imadas. Et les sommes relativement ridicules engagés n'ont jamais visé que « une aide pour la création de sources de revenus » : deux chèvres, quelques poules, une vache pour les chanceux ou favorisés. Peut-on imaginer par exemple des gens qui habitent « le château d'eau de la Tunisie » avec les barrages qui alimentent tout le pays en eau potable et d'irrigation et qui crèvent de soif et qui sont obligés d'aller disputer au bétail cet élément vital dans des points d'eau douteux. Ce sont les femmes et les fillettes, obligées d'interrompre leur scolarité pour aider précisément à la corvée d'eau et de bois. Ces fillettes avec leurs camarades garçons sont obligés de faire des dizaines de kilomètres à pied parce que justement l'absence de moyens de transport demeure endémique, favorisée qu'elle est par une infrastructure routière calamiteuse. Ils s'en vont stoïques s'abreuver de pseudo connaissances dans ces écoles rurales qui manquent de tout même d'enseignants expérimentés. Tandis que confrontés à la rigueur du climat et aux maigres rendements d'un sol ingrat, les hommes valides trouvent refuge dans ces lugubres « Cantilas » tuant le temps à coup de parties de « kharbgas », après avoir confié à la terre ces précieux plants de tabac, peu exigeants en travail et en soins, et réservés exclusivement aux monopoles d'état qui les rétribuent aussi chichement que possible. Une récolte qui sera faite toujours par la gent féminine, car les jeunes gens peu formés, peu instruits et peu séduits par les perspectives de vie bien sombres, ont vite fait de fuir ces lieux inhospitaliers pour un avenir des plus hypothétiques. Sejnane, Joumine, Ghezala ! Des noms qui semblent receler des trésors de promesses. Des régions d'une beauté soufflante qui auraient pu être des sites d'un tourisme écologique, voire balnéaire enviable. Des régions qui recèlent des richesses insoupçonnées que la population a vu passer à des intrus qui ont profité de leur misère pour les exploiter davantage. Les attributs de l'indigence, de l'analphabétisme, de la misère sont si nombreux pour être exposés ici. L'on saura qu'ils sont suffisants et assez persistants pour que ces gens se rappellent aux souvenirs des gouvernants. Ces raisons ont été opportunément exploitées par les Salafistes tout heureux de l'aubaine que ces gens aient sombré encore davantage dans l'oubli et la marginalisation. Car rappelons que la montée en puissance d'Ennahdha a été favorisée par tous les laissés pour compte du pays auxquels on a su tenir le langage lénifiant tant espéré et fourni l'aide matérielle longtemps escomptée mais jamais accordée. Les événements de Sejnane nous interpellent aujourd'hui. Ils appellent notre conscience comme ils nous incitent à agir avec la célérité souhaitée. Avant que les salafistes et autres extrémistes n'imposent leur chape sur ces gens, il est urgent que l'on intègre ces régions dans le giron du développement intégral.