Les inégalités sociales ne cessent de sauter aux yeux d'une journée à l'autre. Les consciences de ceux qui en sont victimes ne cessent quant à elles de s'éveiller et leurs revendications de s'affirmer, sur tout le territoire de la République. Nous avions, à maintes reprises, ici même, attiré l'attention sur des zones du gouvernorat de Bizerte littéralement oubliées, dont les habitants végètent misérablement tels des plantes opprimées. Ces habitants ne manquent pas, à l'instar de leurs pareils des autres régions, d'esquisser quelques sit-in, des mouvements de revendication timide, cependant que leurs jeunes, refusant les demi-mesures, hésitent peu à rejoindre les rangs de groupes moins conciliants. L'histoire récente de Sejnane, entre autres, nous a assez fortement secoués. Certes, l'on enregistre quelques actions en faveur de l'une ou de l'autre de ces régions enclavées, mais cela s'apparente, pour ces « oubliés du développement », à des cautères sur une jambe de bois, c'est-à-dire à presque rien du moment que le bénéfice n'est ni direct, ni personnel. Le Tunisien s'étant distingué par une espèce d'individualisme égoïste, il a tendance à ne voir que ce qui est fait pour lui seul. Situées au nord-ouest du gouvernorat, ces régions ont pour noms Bizerte-sud (mais oui !), Mateur, Ghezala, Sejnane, Joumine. Les mots demeureront toujours ténus pour décrire la détresse quotidienne de gens dont la vie s'apparente à celles des bêtes qui partagent leurs demeures. Non, ce n'est pas un euphémisme, à peine une litote ! L'on ne parlera pas de l'éparpillement de l'habitat qui, à lui seul, maintient les ménages dans un pénible isolement géographique. Nous évoquerons plutôt les raisons qui ont fait qu'une telle situation ait perduré des décennies durant, comme si l'on cherchait vraiment à « contenir ces gens dans leurs montagnes » et éviter qu'ils gagnent les grandes cités. Le désir de désenclaver ces régions a rarement figuré dans les programmes régionaux ou nationaux de développement. C'est à peine si quelques portions de route ou des pistes agricoles sont aménagées, car imposées par la construction du plus grand système hydrique du pays et dont, paradoxe suprême, tirent profit essentiellement de lointaines régions, au grand dam d'une population autochtone et de son bétail qui, aujourd'hui encore continuent à souffrir d'une…soif rarement étanchée. L'on évite encore, en haut lieu de considérer cet enclavement dont les effets les plus pervers se traduisent par un abandon scolaire, particulièrement féminin, des plus considérables. Faut-il, par ailleurs, souligner l'absence totale de toute infrastructure industrielle et de projets générateurs d'emploi, problème endémique qui a poussé les jeunes à déserter leur terroir et à venir grossir le rang des désœuvrés des grands centres urbains ? Une sensibilisation plus poussée des pouvoirs publics à la situation socioéconomique de ces régions a été entreprise qui a été suivie de nombreuses promesses et de quelques petites réalisations. Sous le regard réprobateur et vigilant des populations guère disposées à se laisser conter. Des mouvements sporadiques de contestation et de revendications sont entrepris à l'issue desquels les autorités régionales « annoncent leur totale compréhension des problèmes et leur disposition à accélérer les procédures », occultant le fait que dans la Tunisie post révolutionnaire, il s'agit davantage d'agir que de promettre. Car, les gens, longtemps gavés de belles et fausses promesses…électorales mais sevrés de réalisations effectives et concrètes, frustrés, désillusionnés, ne sont plus dupes qui déclarent vouloir défendre et obtenir des droits qu'on continue à leur contester. M. BELLAKHAL