Nous disions la semaine dernière que l'automne, l'hiver et le printemps sont les saisons du Sud par excellence ; qu'on nous permette d'avancer aussi qu'elles le sont aussi pour le Nord. Ce n'est pas par goût pour la litote ou le paradoxe qu'on avance une telle assertion. Tout simplement, un certain Nord, l'agricole, est en été si chaud, si terne, si sec et si poussiéreux qu'un séjour n'y est pas vraiment si agréable. Mais, dès les premières pluies automnales, quand les socs des charrues ont retourné la terre par mottes luisantes sous l'éclairage d'un soleil amical, le spectacle et l'ambiance y sont autres. Maintenant que nous avons prouvé, de manière convaincante, nous le souhaitons, qu'on peut démontrer une chose et son contraire — ce qui est très utile en cette période de campagne électorale —, prenons la route du Nord-Ouest, traversons sans traîner les interminables banlieues chaque jour plus proches des bidonvilles que des cités résidentielles pour aller à la rencontre de la véritable campagne. Nous avons, cette semaine, choisi de nous rendre dans l'Est du Nord-Ouest, pour, encore une fois, ne pas manier le paradoxe. Car le Nord-Ouest offre des paysages physiques et humains variés, pour ne pas dire contrastés. Et celui-ci, le pays du Mogod, se caractérise par une plus grande densité humaine et une meilleure occupation des terres, ce qui se traduit par des paysages plus riants. Il faut dire aussi que le relief est ici complice ; plus érodé, il offre de plus grandes superficies pour les cultures. C'est au niveau de Ghézala, sur la route de Mateur, qu'on entre en contact avec le monde des Jbèl Mogod. Là, on s'offre une vue panoramique sur cette barrière montagneuse qui court en déclinant d'Ouest en Est ; une large vitrine bariolée de toutes les nuances du vert et parsemées de cubes blancs plus ou moins rapprochés. Ghézala n'échappe pas à la fièvre post-révolutionnaire des constructions illégales et anarchiques. Une véritable explosion qui aggrave son enlaidissement, elle qui fut un véritable petit bijou de la ruralité coloniale. Sur les marches de ce monde suspendu, la terre est complantée (olivier dominant aux côtés d'autres variétés arboricoles fruitières) ou fraîchement retournée, quand elle n'est pas, déjà, couverte d'un tendre duvet vert des débuts de la germination. Et ces parcelles de partir à l'assaut du relief par petits bonds par-dessus des vaux de poche. Au fur et à mesure qu'on prend de l'altitude, le paysage se creuse derrière soi pour finir par laisser apparaître l'imposante masse de l'Ichkeul trônant entre plaine mateuroise et plan d'eau du parc naturel qui porte son nom. On prend de l'altitude par paliers. Parcelles fertiles et surfaces arides se succèdent au gré des ondulations du terrain, l'humus se déposant au creux des bassins après avoir été raclé des hauteurs environnantes. Mais, tant que subsiste sur celles-ci une couche de terre, si mince soit-elle, même mêlée à des cailloux, l'homme est là pour en tirer — au prix de quels efforts ?— le meilleur parti. Généreux eucalyptus Au fur et à mesure de notre progression, la route devient de plus en plus tortueuse. C'est qu'on est en train de prendre de l'altitude et, ce faisant, nous nous enfonçons de plus en plus dans le monde de la différence. Cette impression se renforce lorsque, par moments, au creux d'un val ou au sommet d'une butte, les parois du relief environnant se rapprochent au point de sembler nous enfermer au fond d'une cuvette vers laquelle «coulent» de petites agglomérations accrochées à leur flanc. A une dizaine de kilomètres avant la localité de Sejnane, nous abordons un bois d'eucalyptus. Cette essence-là, la Tunisie en a été friande dans les années 60, à l'apogée de son engouement pour le reboisement. Nous avons, du reste, hérité l'essentiel de notre couvert végétal de cette époque-là et que, par la suite, certains se sont évertués à dilapider. Avec les résineux (pins de toutes sortes), il a fait preuve d'une remarquable adaptation aux sols ingrats qu'il a contribué à parer de verdure. Mais là n'est pas son seul mérite. Contrairement aux résineux, cet arbre, originaire d'Australie et introduit en Tunisie aux débuts du XX° siècle, a cette rare faculté de se régénérer lorsque, parvenu à l'âge adulte, il est coupé selon certaines normes. Ainsi, après avoir fourni du bois que nous n'avons pas en abondance dans notre Tunisie, il fait germer sur sa souche d'à peine un mètre et demi de hauteur des surgeons qui vont pousser en bouquets de plants dérivés ! Spectacle fascinant que celui de ce bois à l'entrée de Sejnane qui avait été entièrement taillé et qui, aujourd'hui, se présente en épaisse petite «forêt» dans laquelle on aura plaisir à déambuler et même à pique-niquer, sans compter la leçon de générosité qu'elle offre. Ce bois domine la dépression de Sejnane vers laquelle on glisse d'autant plus rapidement que, pour parcourir la centaine de kilomètres qui nous séparent de la capitale, nous aurons mis trois bonnes heures avec les haltes pour admirer le paysage ou effectuer une promenade dans le bois. Si, de surcroît, on sait que, là où nous allons, il n'y a aucun moyen de se restaurer, alors, autant faire une halte à Sejnane pour manger sur le pouce. Mais vraiment sur le pouce ! Mais, au fait, où allions-nous ? A Cap Ennîgrou, pardi !