Jocelyne Dakhlia est une historienne franco-tunisienne. Elle est auteure, entre autres, du livre Tunisie, le pays sans bruit. Dans une interview accordée à Lilia Blaise, une autre franco-tunisienne collaborant avec Slate Afrique, elle livre des réflexions poussées sur la situation politique du pays. Elle évoque une radicalisation du débat entre les islamistes et les partis centristes et de gauche au sujet des questions identitaires et religieuses qui prennent le pas, dit-elle, sur les questions économiques et sociales. Les jeunes sont en mal de représentativité, déplore-t-elle. Evitant de parler de clivage entre laïcs et islamistes, l'historienne pense, au contraire, à une certaine convergence d'idées à propos d'un ancrage de la révolution tunisienne à l'héritage historique du pays où l'identité arabo-musulmane s'impose à tous comme une référence constante. Deux ans après la révolution, l'auteure relève « une rupture totale, une radicalisation » entre centristes et islamistes qui lui font penser au scénario algérien. Elle préconise une reconnaissance mutuelle comme préalable à un affrontement démocratique. Après avoir critiqué la position « irresponsable » du président de la république en tant que régulateur, facteur de rapprochement et garant des droits de l'homme, l'auteure oppose et dénonce la violence physique des uns et verbale des autres. Le déni de la légitimité électorale d'Ennahdha toujours considérée par les « centristes », comme « une erreur électorale » est, selon J. Dakhlia, une forme de violence et une radicalisation de l'opposition laïque qui « refuse de reconnaître la souffrance passée subie massivement par les islamistes ». Malgré la faillite politique d'Ennahdha, il aurait fallu « une forme de fraternité politique » qui aurait mené les antagonistes vers un débat différent et moins polarisé, selon l'historienne. Abordant l'assassinat de Chokri Belaïd, l'interviewée a indiqué qu'il devrait s'inscrire dans la mémoire révolutionnaire, soulignant que sa mort a opéré un tournant qui a resserré le débat davantage autour de la sphère politique que sur le plan social. J.Dakhlia pense que les jeunes représentent « la troisième voie » grâce notamment à leur ouverture d'esprit vis-à-vis des questions religieuses. La jeune génération, dit-elle, est fortement impliquée dans la vie associative, mais elle est « marginalisée » pour, souligne-t-elle, sa supposée immaturité politique. La jeune génération, pense l'historienne, doit se battre contre les critiques implicites ou déclarées qui lui sont adressées. L'historienne revient encore sur le président de la république qui ne peut ou ne sait user de son autorité légitime pour défendre ces jeunes en butte aux tracasseries subies à cause de leurs formes d'expression. La sévérité dont ils sont les objets est une preuve des dysfonctionnements de la Troïka qui cherche, ce faisant, de dissimuler le laxisme sur les questions essentielles. Jetant un regard d'historienne, Jocelyne Dakhlia, tout en redoutant une désaffection massive lors des prochaines élections à cause de déceptions nées du mauvais fonctionnement des partis et des institutions, pense que nous « avons au moins besoin de vingt ans de transition ». M. BELLAKHAL