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L'IVD et les archives : l'insoutenable légèreté de faire
Tribune
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000


Par Noura BORSALI
L'affaire IVD qui s'est déclenchée, le vendredi 26-12-2014, à la suite d'une opération organisée par l'institution pour récupérer l'ensemble des archives présidentielles, a réussi à faire le buzz, à accaparer l'attention des médias ainsi que celle de l'opinion publique et à susciter une polémique autour de la légalité ou de l'illégalité de l'action de l'IVD: celle de prendre possession d'une partie importance de nos archives nationales.
Cette opération telle qu'organisée a choqué bien de Tunisiens qui furent surpris par ce spectacle inhabituel de six gros camions de location garés devant le palais présidentiel et par cette décision de l'IVD de vouloir se saisir de la totalité des archives présidentielles sans contrôle aucun. D'autre part, le timing de cette opération précipitée et intervenant à la veille d'une passation pacifique de pouvoir — une première dans l'histoire de la Tunisie quoiqu'on pense du candidat entrant — permettra l'entrée au Palais de Carthage de Béji Caïd Essebsi avec qui la présidente de l'IVD est en conflit en dehors du processus de justice transitionnelle et qui, par ailleurs, ne semble pas être convaincu par ce processus. Aussi ces éléments politiques sont-ils essentiels dans l'analyse de cette opération précipitée et mal organisée que certains observateurs qualifient de «coup de poing».
L'opération de saisie des archives a échoué, puisque l'IVD est rentrée bredouille avec ses six camions et cartons vides. Les faits et les témoignages montrent que ce sont la sécurité présidentielle et le syndicat de la sécurité présidentielle qui ont interdit l'accès des camions au Palais de Carthage et, de ce fait, ont empêché le transport des documents en question.
L'opération IVD au Palais de Carthage
Ces faits appellent des précisions et interrogations. La question de la récupération des archives est-elle réellement une urgence pour l'IVD qui vient de seulement démarrer l'opération de la collecte des dossiers des victimes ? Durant les cinq mois passés à l'IVD, il n'a jamais été question, un jour, de la saisie des archives mais de l'accès à ces documents et de leur consultation sur place. Une seule réunion a eu lieu, au mois de juillet 2014, avec la présidence sur cette question et ce jusqu'à ma démission le 10 novembre 2014. Et il n'a jamais été question, jusqu'à cette date, de saisie et de transfert des archives de la présidence qui, nous a-t-on dit, sont énormes.
Ceci atteste d'un fait indéniable : les résultats de la présidentielle et le départ du palais du président sortant ont été déterminants dans cette précipitation.
Deuxième constat : le président sortant aurait donné son accord sur le transfert des archives et sur l'accompagnement sécuritaire du convoi. Comment expliquer alors que la garde présidentielle ait empêché le déroulement d'une opération décidée par leur président ? Un semblant d'explication a été donnée par la sécurité présidentielle. Un contact pris avec le président entrant aurait bloqué cette opération, mais selon certains, en accord avec le président sortant, et ceci à la veille de l'opération. Des questions s'imposent : si les faits se sont déroulés de la sorte, pour quelles raisons le président sortant n'a-t-il pas informé l'IVD et annulé l'opération ? Pourquoi aurait-il laissé faire si réellement il était informé des réserves du nouveau locataire du palais de Carthage et de son service sécuritaire ? Dans l'autre cas où il aurait été dépassé par une connivence entre la sécurité présidentielle et Nida Tounès, pourquoi ce sujet n'avait-il pas été soulevé par les médias ni par les commentateurs ? Ce silence sur le rôle du président sortant dans cette affaire suscite les questions les plus hasardeuses mais somme toute légitimes. Le communiqué publié sur cette affaire par le service de communication de la présidence est plutôt laconique et conclut avec un soutien apporté à toutes les instances constitutionnelles. Alors qu'il semblerait que le jour même et après une attente de plus d'une heure, la délégation de l'IVD s'est réunie avec le président ou son cabinet. À quoi a-t-elle abouti cette rencontre ? Tout ce que l'on sait, à un retour bredouille de l'IVD à son local. Ainsi ,le président sortant assume une responsabilité certaine dans cette affaire et son échec.
Certes, il n'était pas du rôle de la sécurité présidentielle d'informer l'IVD de l'interdiction de la saisie des documents. Mais la faille présidentielle que j'ai relevée plus haut pourrait expliquer, à mon sens, un dépassement qui n'est guère acceptable, selon certains. Marzouki aurait pu éviter une telle bévue. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Pourquoi a-t-il laissé faire ? Tout est dans ces questions-là. Nous y reviendrons.
L'IVD a-t-elle le droit de se saisir des archives ?
La question qui s'est posée avec force et en toute légitimité : l'IVD a-t-elle le droit de prendre possession des archives en général ? Plusieurs lectures et interprétations ont été faites des articles de la loi sur la justice transitionnelle relatifs à ce point. Voici les articles en question:
- L'article 40 : « Pour accomplir ses missions, l'IVD dispose des prérogatives suivantes: l'accès aux archives publiques et privées nonobstant toutes les interdictions prévues par la législation en vigueur» et plus loin « l'exigence de lui communiquer les documents ou informations détenues par les pouvoirs judiciaire et administratif ainsi que par les instances publiques ou toute personne physique et morale...». Le même article stipule encore que l'IVD peut «procéder à des saisines dans les lieus publics et privés, ainsi que des perquisitions et saisies de documents, de valeurs mobilières et d'instruments usagés pouvant avoir un lien avec les infractions instruites par l'Instance, afin d'établir les procès verbaux. L'Instance a pour cela les mêmes prérogatives que celles de la police judiciaire, sans préjudice des procédures judiciaires nécessaires».
- Dans l'article 51, il est dit que « les services de l'Etat, les instances publiques, les commissions et collectivités locales, les entreprises et établissements publics, de même l'ensemble des fonctionnaires publics, sont tenus de transmettre au président de l'Instance des déclarations contenant toutes les informations et données qu'ils peuvent avoir recueillies lors de l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, et qui relèvent des attributions de l'Instance ou peuvent aider celle-ci dans la réalisation de sa mission, dans les meilleures conditions.
Lesdites informations et données doivent être transmises à l'Instance, de manière directe ou, le cas échéant, à sa demande, par les services et parties susmentionnés».
- Art. 52. - «Toute personne physique ou morale peut fournir à l'Instance tous documents ou déclarations en sa possession, ayant trait à tout ce qu'elle a pu endurer, savoir ou recueillir et relevant de la compétence de l'Instance.
Un récépissé est remis à quiconque fournit à l'Instance des documents, des plaintes ou des informations»
- Art. 54. - «Les requêtes de l'Instance pour l'obtention de données ou de documents ne peuvent être rejetées pour motif de secret professionnel, quels que soient la nature et le statut de la personne physique ou morale qui détient les données ou documents demandés par l'Instance. Les dépositaires de ces documents confidentiels ne peuvent être sanctionnés pour les avoir dévoilés à l'Instance».
Et enfin, Art. 55. « Lors de la découverte de documents susceptibles de destruction ou lors de l'existence de preuves sérieuses corroborant l'existence de violations relevant de sa compétence, le président de l'Instance peut ordonner l'adoption des mesures préventives requises pour sauvegarder lesdits documents et preuves et empêcher les auteurs de ces infractions de transférer les fonds ou avoirs objet du délit, de les remplacer, de les dissimuler, de les éloigner ou de les détruire.».
À la lecture de ces articles, il n'est dit, à aucun moment, clairement et explicitement que l'IVD a le droit de prendre possession de nos archives nationales. Elle a le droit d'y avoir accès, à la communication des documents nécessaires à sa requête et, en cas de menaces, à adopter des mesures préventives pour la protection des documents. Même si la loi est silencieuse sur le comment et la méthode (photocopier des documents, disposer de ces mêmes documents selon les règles en cours, nationales et internationales...), ce qui ouvre la voie à de multiples interprétations, cette dernière ne donne aucunement le droit à l'IVD de s'accaparer de toutes nos archives nationales. Ceci n'existe dans aucun pays du monde. Et, à mon humble connaissance, aucune commission de vérité dans les pays qui ont connu une justice transitionnelle n'a disposé, de la sorte, des archives nationales de son pays. Ni en Afrique du Sud, ni au Pérou, ni en Argentine, ni en Allemagne, ni en Pologne... où les archives sont bien protégées tout en étant accessibles. Le tout dans le respect des normes internationales. Alors, pourquoi la Tunisie fera-t-elle l'exception ? Les archives sont un patrimoine national auquel ont droit tout Tunisien et toute tunisienne.
En outre, comment peut-on disposer de toutes les archives de la présidence sans contrôle aucun d'une instance indépendante ? Sans que nous ayons une quelconque idée de l'ampleur de son contenu ?
Selon le directeur général des archives nationales, Hédi Ghalleb, l'IVD s'est récemment adressée à son institution avec laquelle elle a tenu deux réunions sur cette question du dépôt des archives. Un accord a été conclu pour que les Archives nationales abritent ce patrimoine commun, comme l'ont demandé des historiens dont Abdeljelil Temimi et d'autres dans une lettre adressée au président sortant, voilà une année, mais en vain. Les deux parties se sont entendues sur le fait que l'IVD préparera le texte de l'accord et le fera parvenir au D.G. des archives pour signature. Ce fut deux jours avant l'opėration de Carthage. Dans un entretien accordé à Hakaekonline, Hédi Ghalleb a exprimé sa surprise de voir le spectacle de ce revirement inexpliqué. Que s'est-il passé pour que la présidente de l'IVD agisse autrement et précipitamment sans prévenir son partenaire qui a dû lui expliquer, auparavant, les normes du transfert et de la sauvegarde des archives ?
L'IVD aurait eu tout à gagner en suivant les procédures légales, d'autant qu'elle ne dispose d'aucun moyen humain et matériel pour gérer et protéger une telle somme de documents. Mais le choix a été autrement et ne l'a, en aucun cas, glorifiée. Au contraire, il l'a -hélas- décrédibilisée.
Le spectacle qu'elle nous a donné à voir n'est ni réjouissant ni acceptable : un convoi de six gros camions loués je ne sais où et à quel prix, comportant des cartons ordinaires pour n'importe quel déménagement, se sont acheminés vers le palais présidentiel pour transférer des archives aussi importantes, sans précaution aucune quant au moyen de transport et au lieu de sauvegarde ? Une bonne majorité de Tunisiens ont trouvé ce spectacle hallucinant, voire loufoque. Inadmissible.
L'IVD, en opérant ainsi, aurait-elle voulu donner la preuve qu'elle est au-dessus de toutes les institutions du pays à l'instar de la présidence, s'appuyant en cela sur cette loi sur la justice transitionnelle dont les législateurs, par malice ou par ignorance, ont laissé des failles qu'il est impératif aujourd'hui de corriger.
Une des missions de l'IVD est la réforme des institutions. Or, on ne peut accepter que cette mission soit faite par une institution incontrôlable ayant des prérogatives énormes et s'apparentant à une institution dictatoriale. La justice transitionnelle doit convaincre, persuader, négocier et non imposer et commander avec autoritarisme. Dans bien des pays qui ont vécu une expérience de justice transitionnelle, le processus était négocié par les différentes parties concernées.
Pourquoi ce timing ?
Une autre question légitime s'est posée compte tenu de la précipitation de l'opération : pourquoi ce timing choisi à 4 ou 5 jours de la passation pacifique de pouvoir ? D'aucuns savent le conflit existant entre la présidente de l'IVD et le nouveau président et datant de 2011, sans rapport aucun avec la justice transitionnelle. Et d'aucuns n'ignorent pas la position exprimée par le nouveau président sur le processus de justice transitionnelle et des défis que ce dernier risque de relever. Cette précipitation a été vue, selon certains observateurs, comme une sorte de «lapin posé» au président gagnant avant même qu'il ne prenne le pouvoir et le mettre devant une difficulté. Au lieu de la persuasion et de la négociation, on semble avoir choisi l'affrontement. Sinon, comment expliquer que l'IVD ait commencé par les archives de la présidence? Pourquoi n'a-t-elle pas organisé la même opération pour transférer les archives de la police politique du ministère de l'Intérieur, le ministre étant lui-même partant ?
Ceci nous amène à exprimer des craintes pour ce processus qui se trouve engagé dans un affrontement qui risque de lui porter préjudice et de l'impliquer dans des conflits et une instrumentalisation politiques dont il n'a que faire. Une opération coup de poing qui pervertit nos institutions aussi importantes que celle de la présidence au-dessus de laquelle l'IVD s'est mise, forte des larges prérogatives que lui accorde la loi sur la justice transitionnelle.
La question qui demeure : le conseil de l'IVD a-t-il discuté et analysé amplement le pour et le contre de cette opération ? Ou a-t-il travaillé dans l'urgence ?
La justice transitionnelle est au cœur de la transition démocratique. Est-ce ainsi que le processus de justice transitionnelle pourra gagner en crédibilité et réaliser ses objectifs ?
Je n'en suis pas sûre à moins que, comme je l'ai déjà noté, dans ma lettre de démission du 10 novembre 2014, on revoie la loi sur la justice transitionnelle ainsi que la présidence et la composition de l'IVD. Une manière de corriger et de rectifier le processus de justice transitionnelle auquel nous tenons ardemment.


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