Encore une fois, et après seulement trois mois, le sang tunisien se mêle à celui des étrangers. Après le Musée du Bardo, c'est au tour de la zone touristique d'El Kantaou, d'être la scène de cette tragédie nationale à dimension internationale. Encore une fois, des innocents tunisiens et touristes, ayant choisis la destination Tunisie, en dépit de la précarité de la situation sécuritaire prévalant, trouvent la mort. Mais, entre les deux attentats et depuis le grand show de la marche de la République, l'enthousiasme et les promesses tous azimuts qui l'ont accompagnée, aucune mesure tangible n'a été prise, et les terroristes ont repris leurs activités comme si de rien n'était. Le choix par les terroristes de sites culturels et touristiques fait planer, à nouveau, le projet obscurantiste visant le changement du modèle sociétal moderne de la Tunisie et l'islamisation de la société, un projet tant défendu, il n'y a pas longtemps, par certaines parties nouvellement converties au modernisme et qui envahissent, ces jours-ci, les plateaux de télévision pour prodiguer des leçons en matière de lutte contre le terrorisme et s'ériger en grands stratèges dans ce domaine. Leur époque, marquée par leur large contribution à sa propagation dans le pays par le biais de la grande indulgence qu'elles témoignaient à l'égard des terroristes, était rappelée par la propriétaire de l'hôtel, objet de l'attentat, la députée de Nida Tounes, Zohra Driss, qui leur impute l'entière responsabilité de la dégradation de la situation au niveau sécuritaire. Cette incrimination ne trahit-elle pas un certain dysfonctionnement au sein du gouvernement? Ne traduit-elle pas sa fragilité? Et n'explique-t-elle pas l'inefficacité dont il fait preuve, jusqu'à maintenant, dans la lutte contre le terrorisme? Des inquiétudes persistent Les Tunisiens en ont vraiment assez d'entendre les responsables politiques radoter les mêmes phrases, à chaque attentat terroriste. Des phrases comme «Nous sommes tous en guerre contre le terrorisme», «Soyons tous unis contre ce fléau», «Gardons la vigilance» non seulement ne les soulagent plus, mais les irritent au plus haut point, car cela fait un bon moment qu'ils sont persuadés que ces slogans de circonstance sont affichés juste pour la consommation médiatique et ne reflètent aucune volonté politique sincère. Mais heureusement qu'enfin nos responsables décident de prendre des dispositions concrètes qui soient de nature à dissuader les terroristes et leurs alliés et à rassurer les Tunisiens, à condition, bien sûr, de voir le jour et ne pas rester lettre morte comme les précédentes. Seulement, à y voir de près, on n'est pas tout à fait rassuré. Avant d'en élucider les raisons, il importe de souligner que le grand soulagement provient de l'annonce de la tenue imminente du congrès national contre le terrorisme. Cette déclaration officielle vient rompre un silence assourdissant qui n'a que trop duré et qui a donné lieu à des suspicions et des appréhensions multiples. Maintenant et grâce à une stratégie, intégrant des approches variées, allant de l'économique au social en passant par le politique, le sécuritaire et le culturel, on va pouvoir lutter efficacement contre ce fléau du terrorisme. Autremet dit, les grands thèmes de cette stratégie seraient la lutte contre la contrebande, l'économie parallèle et l'évasion fiscale, le développement régional et la réforme de la santé, de la sécurité et des systèmes éducatif et universitaire. Donc, en dépit de ce signe rassurant, la situation demeure inquiétante en raison de la persistance de facteurs perturbateurs dont, notamment, Hizb-Ettahrir», qui continue à faire son show, à arborer le drapeau de Daech et à diffamer l'Etat, en toute impunité. Mais, quelle différence existe-t-il entre l'un et l'autre au niveau de la conception de celui-ci et de ses différentes institutions modernes, y compris le tourisme, du statut de la femme et de sa vocation? Selon quelle logique légalise-t-on le premier et proscrit-on le second? Propos édulcorés Oublie-t-on que le terrorisme est une idéologie avant d'être une pratique? Qu'il s'insinue dans les mentalités avant de se manifester sur le terrain? A partir du moment où il adopte le wahhabisme et qu'il voit la solution dans la restauration du califat, qui nous dit que ce «parti» n'est pas en train de guetter le moment propice pour agir? Alors, est-ce avec ces passéistes, ces défenseurs fanatiques de l'obscurantisme que l'on veut promouvoir le tourisme et accueillir des étrangers sur notre sol? Laisser toute latitude à ce pseudo-parti pose plus d'une questions. Il ressort des déclarations faites, le jour de l'attentat, par le président de la République, qu'il n'y a plus de place pour «Hizb-Ettahrir» en Tunisie. Les allusions à ce parti sont claires et nettes et ne sont sujettes à aucune autre interprétation. C'est ce qu'on doit nécessairement comprendre lorsqu'il dit que désormais seul le drapeau tunisien sera arboré, et que tout parti qui ne respecte pas la République sera interdit, en référence au drapeau noir de ces fondamentalistes, leur négation de celle-ci et leur projet de la substituer par le califat. Mais ces affirmations semblent être atténuées, plus tard dans la soirée, par le chef du gouvernement qui n'était pas aussi péremptoire, puisqu'il a laissé entendre qu'il traiterait ce «parti» avec plus de précautions et que des mesures seraient prises à son encontre. Non seulement il s'agit là de simples conjectures, mais en plus elles s'appliqueraient indifféremment à tous les partis et toutes les associations qui ne respecteraient pas la constitution. Et qu'en est-il des graves dépassements commis, tout dernièrement, par ces salafistes à la Coupole d'El Menzah, Monsieur le chef du gouvernement? Sont-ils frappés de proscription? Ce qui donne un caractère hypothétique à ses propos, c'est son affirmation que Hizb-Ettahrir est un parti légal qui dipose d'un visa lui permettant de s'adonner à des activités politiques. En fait, par quoi s'explique ce manque de cohérence entre les déclarations du chef du gouvernement et celles du président de la République? Cette réaction à chaud et cette déclaration décalée ne reproduisent-elles pas l'écart entre l'intime conviction et le calcul politique? Soutien inconditionnel aux extrémistes Pour certains, il n'y a plus l'ombre d'un seul doute qu'il jouit d'une protection qu'on a pu déceler à travers les propos de Imed Hammami, le député nahdhaoui, qui a proclamé ouvertement, le jour de la tragédie nationale, sur un plateau de télévision, qu'on ne devait pas dissoudre des partis et bafouer les droits acquis à cause d'un acte terroriste, en allusion aux déclarations faites par le président de la République, sus-citées. Mais, quel rapport Hizb Ettahrir a-t-il avec ces acquis? S'est-il métamorphosé, à notre insu et par miracle, en un parti civil défendant la démocratie et les droits de l'Homme? Ce soutien déclaré haut et fort ne dénote-t-il pas une appartenance idéologique et une alliance stratégique? D'ailleurs, Ennahdha n'offre pas son appui seulement à Hizb Ettahrir, mais également aux ulémas « takhfiristes», qui étaient limogés par le ministre des Affaires religieuses avant de réintègrer leurs postes, suite aux protestations qu'il a formulées à ce sujet, et aux associations dites caritatives dont le financement et les activités sont douteux. Il serait aussi derrière le manque d'application rigoureuse de la décision relative à la fermeture des mosquées échappant au contrôle de l'autorité de tutelle. Le soutien qu'accorde Ennahdha aux extrémistes ne s'arrête pas à nos frontières, mais va bien au-delà pour se manifester ailleurs, notamment sur le territoire libyen où il cautionne inconditionnellement le groupe terroriste Fajr Libya. Et là aussi, le gouvernement ainsi que la présidence de la République se sont alignés sur sa position, en reconnaissant le gouvernement de Tripoli auquel il attribue même un traitement favorable aux niveaux diplomatique, sécuritaire et économique. Et il n'échappe à personne qu'Ennahdha est partenaire à part entière de l'axe Turquie/Qatar qu'il défend à cor et à cri, comme on a eu l'opportunité de le voir lorsque le ministre des Affaires étrangères a lancé des critiques virulentes à l'endroit de la première, où le président de la République a désavoué son ministre et où le parti islamique a sorti un communiqué pour dénoncer la position de ce dernier, alors qu'il s'est complètement tu quand les miliciens de Fajr Libya ont bafoué notre souveraineté nationale, en kidnappant dix de nos diplomates. Tous ces indices ne sont-ils pas la preuve irréfragable que le gouvernement souffre encore d'une fragilité criarde? M. Habib Essid a convoqué, il y a deux jours, tous les partis politiques pour s'entretenir sur la situation, les mesures à prendre collégialement et la nécessité d'unir leurs forces et de conjuguer leurs efforts afin de pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme. Mais, est-il possible de constituer un front interne avec des acteurs disparates qui ne se partagent ni les mêmes conceptions, ni donc les mêmes positions vis-à-vis de questions cruciales tant sur le plan national, régional qu'international?