Par Abdelhamid GMATI Ce n'est pas un euphémisme que de dire que les Tunisiens sont déçus, désabusés, voire inquiets. Déçus parce qu'après la gabegie d'après-révolution qui a régné durant quatre années, ils s'attendaient à une restauration de l'autorité de l'Etat ; désabusés parce qu'ils ne voient rien venir pour améliorer leur quotidien ; inquiets parce qu'ils sont outrés par le kidnapping de ces diplomates et autres compatriotes en Libye et par ces morts et ces blessés parmi les policiers, les gardes nationaux, les soldats. Trop, c'est trop ! Et ils ont l'impression que le terrorisme est pratiquement banalisé et qu'il n'y a pas la mobilisation nécessaire pour éradiquer ce fléau. Que dit le gouvernement concernant ce problème ? Le chef du gouvernement, Habib Essid, estime que « la bataille se poursuit en dépit des succès enregistrés par les forces armées et sécuritaires et que des mesures adéquates ont été prises pour prévenir les éventuels attentats, notamment au cours du mois de Ramadan ». Le ministre de la Défense affirme que « les appareils de l'Etat sont capables de combattre les terroristes ». Il y a eu des manifestations dénonçant le terrorisme, notamment au lendemain de l'attentat au musée du Bardo. Mais on continue à compter les morts et les blessés. Certes, les forces de l'ordre et l'armée nationale sont mobilisées contre ce fléau mais ont-elles les coudées franches ? Disposent-elles des moyens nécessaires ? Le syndicat de la garde nationale qui paie un lourd tribut (six attaques ont ciblé les gardes nationaux) demande, dans un communiqué, la fourniture de véhicules blindés et d'équipements sophistiqués aux agents de sûreté opérant dans les zones chaudes du pays pour qu'ils puissent faire face aux embuscades tendues par les groupes terroristes. Le communiqué a, également, appelé les composantes du peuple tunisien à ajourner leurs mouvements et actions protestataires, quoique légitimes, qui perturbent le travail des corps sécuritaires. Les réponses sont claires. Les récents événements dans les gouvernorats de Sidi Bouzid et de Jendouba révèlent, encore une fois, que les groupes terroristes connaissent les mouvements des forces de l'ordre. Ce qui indique que des complices se trouvent infiltrés au ministère de l'Intérieur. Que fait-on pour y remédier ? Il y a des partis, des obscurantistes, des politiques revanchards qui sillonnent le pays, au vu et au su de tous pour répandre leurs idéologies rétrogrades et inciter à la rébellion. A l'instar de Hizb Ettahrir qui vient de tenir son congrès pour y prôner le califat et son refus de la démocratie, des lois tunisiennes, de l'Etat tunisien. Et que fait-on ? La présidence de la République, par l'intermédiaire de son porte-parole, Moëz Sinaoui, reconnaît que « ce parti a franchi toutes les lignes rouges et qu'il était temps de tirer la sonnette d'alarme. Il revient au gouvernement qui a délivré le visa à ce parti de prendre les mesures idoines... Ce qui s'est produit dimanche est tout simplement inacceptable ». Et que fait le gouvernement ? « Hizb Ettahrir sera rappelé à l'ordre par le secrétariat général du gouvernement ». Mais le ministre des Affaires religieuses, lui, est intervenu auprès de la radio nationale pour mettre fin aux émissions sur l'islam de Youssef Seddik. Pourtant, Youssef Seddik n'insulte pas l'Etat, mais propose de nouvelles interprétations du corpus islamique, fondées sur l'historicité des textes et sur l'éthique de la liberté de lire et de penser. A l'issue de l'entretien de Mohamed Ennaceur, président de l'ARP, avec le président de la République, un communiqué souligne la nécessité d'établir « un dialogue constructif » entre les partis et la société civile, d'un côté, et le gouvernement, de l'autre, et ce, en vue de mettre en place une stratégie commune concernant les réformes structurelles et les mesures à entreprendre pour dépasser la phase actuelle et redonner espoir aux citoyens ». Encore un dialogue. L'inaction du gouvernement vient essentiellement de son absence d'homogénéité. Si l'idée d'associer les partis ayant eu les meilleurs suffrages est bonne sur le papier, la réalité est tout autre. La mixologie, cette pratique qui consiste à mélanger divers ingrédients pour créer et réaliser des « cocktails » originaux, est payante dans les boissons. Mais en politique, elle a ses limites, surtout lorsqu'il appert que les partis concernés jouent chacun sa propre partition. On a l'impression qu'Ennahdha a un pied dans le pouvoir et un autre ailleurs et que Afek n'est pas toujours solidaire. Le chef du gouvernement le reconnaît lui-même, affirmant que « les partis appartenant à la coalition gouvernementale ne lui apportent pas toujours tout le soutien souhaité ». Ce qu'on attend de ce gouvernement et du parti majoritaire, Nida Tounès, c'est qu'il gouverne, qu'il assume son pouvoir. Qu'il prenne les décisions les plus adéquates exigées par la situation actuelle du pays. Même si elles sont douloureuses et ne plaisent pas à tout le monde.