Malgré son importance stratégique, le «mur» manque de profondeur et ne couvre pas tous les accès aux deux pays La barrière de sécurité en passe d'être parachevée sur une partie des frontières tuniso-libyennes est, somme toute, minuscule. Elle embrasse quelque 220 kilomètres sur une frontière de 459. De la frontière jusqu'à l'arrière, elle ne compte que quelques mètres. Pour saisir la signification de ces dimensions et à titre d'exemple, la ligne Maginot, érigée en France de 1929 à 1936, s'étendait sur 200 kilomètres et avait une profondeur de 20 à 25 kilomètres. D'après des informations concordantes — on a vu des photos de la ligne de fortification inspectée par le ministre de la Défense —, l'ouvrage comprend un fossé et un mur de sable. Rien de plus. S'étendant de Ras Jedir aux confins ouest de Dhehiba, il laisse en friche quelque 240 kilomètres des frontières entre Dhehiba et le nord de Ghedames. Or, il est notoire que les milices des terroristes sévissant en Libye, dont celles de Daech, sont éparpillées tout au long des frontières tunisiennes côté libyen, de Sabratha jusqu'à Ghedames. Hélicoptères, drones... Les choses ne demeureront pas en l'état. C'est que, outre le contrôle militaire strict, moyennant la surveillance électronique, la Tunisie compte se doter d'autres moyens de défense. Ainsi est-il des douze hélicoptères de combat Blackhawk commandés auprès des Etats-Unis d'Amérique et dont huit seront livrés en 2016, le reliquat devant être remis en 2019. Equipés de moyens de vision nocturne, ces redoutables hélicoptères pourraient être décisifs dans les combats contre les terroristes. Sachant l'actuel déficit en la matière, ces derniers se déplacent généralement de nuit en Tunisie, en toute sécurité. La Tunisie compte aussi se munir de drones de combat. Des pourparlers sont engagés avec l'administration américaine à ce propos. L'Allemagne, la France et l'Angleterre examineront, lors d'un sommet européen demain (20 juillet), l'opportunité de doter la Tunisie de moyens de surveillance électronique de ses frontières avec la Libye et l'Algérie. Côté libyen, on enrage. Et pour cause. Depuis les tristement célèbres gouvernements de la Troïka (2011-2014), on a tout fait pour accroire aux factions terroristes libyennes qu'elles peuvent entrer en Tunisie et en ressortir comme dans un moulin. Il en a résulté une situation anachronique et aberrante : la Tunisie officie comme sanctuaire pour les terroristes libyens et la Libye est érigée en sanctuaire pour les terroristes opérant en Tunisie. Un dangereux jeu pervers qui explique que la classe politique tunisienne, compromise en grande partie, soit particulièrement silencieuse à ce propos. Or, l'accointance libyenne est toujours de mise dans les actes terroristes en Tunisie. C'est le cas de l'escadron de la mort opérant sous nos cieux, des assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ou de la cinquantaine d'attentats effectués en Tunisie au cours des dernières années. Les deux derniers attentats, ayant coûté la vie à une soixantaine de paisibles touristes au musée du Bardo et à Sousse, en sont témoins. Dans les deux cas, les terroristes se sont entraînés en Libye. Les livraisons d'armes et les exfiltrations des terroristes ont eu lieu via les frontières tuniso-libyennes. La barrière de sécurité frontalière et les moyens complémentaires constituent assurément un palliatif, quoique mineur, à ce triste commerce de la mort à tout vent. C'est pourquoi les factions terroristes libyennes ont haussé le ton et menacé d'attaquer le mur, quoique dans sa dernière interview à la chaîne Attessia TV, le président de la République, M. Béji Caïd Essebsi, a affirmé que la Tunisie est prête à y parer, par les moyens militaires le cas échéant. Tout le monde a ainsi le regard rivé aux frontières tuniso-libyennes. Mais les principales îles italiennes (Sicile, Pantelleria, Lampedusa, Lampione et Linosa) étant déjà dans nos eaux, la question touche l'Europe du sud de près. Le dispositif géostratégique américain et nord-atlantique est lui aussi concerné. Les frontières tuniso-libyennes sont éminemment géostratégiques. Muraille de la Tunisie, certes, mais aussi, d'une certaine manière, muraille du sud de l'Europe. Les prochaines semaines seront cruciales. La nébuleuse terroriste sévissant de l'Irak au Nigeria compte bien mener une incursion stratégique au Maghreb historique (Tunisie, Algérie et Maroc), après avoir investi la Libye. La bataille des frontières tuniso-libyennes est la bataille de la liberté face à la barbarie. Lorsque les égorgeurs de Daech en Irak clament qu'ils comptent investir Rome, il ne s'agit guère de propos fantaisistes. C'est dire que les phalanges de l'ordre noir sont à nos portes et qu'il faudra plus qu'un fossé et un mur de sable pour les contrer.