Le « Mur d'Essid », comme on se plaît à l'appeler, est bien un mur quelle que soit la configuration qu'on lui donnera pratiquement. Qu'il soit talus ou barricade, barbelé ou grillage, fossé ou muraille, il reste une forme d'obstacle, de séparation ou de protection à laquelle on peut donner la désignation générique de « mur ». Mais le « Mur d'Essid » aura creusé, comme il nous a été de le souligner ici même (http://www.tunivisions.net/61701/684/149/chronique--essid-le-mur-et-nous-par-mansour-mhenni.html ), les significations profondes de la notion de mur, et le lien qu'elle peut avoir avec ce qui est étroitement lié à notre façon d'être à nous-mêmes, peut-être, aux autres surtout, nos semblables et partenaires, dans le destin partagé que nous sommes contraints de vivre ensemble dans un espace-temps déterminé. Aujourd'hui, on se rend compte que ce « mur » nous informe de plus en plus de la nature des rapports complexes qui sont en train de se tisser entre nous et nos voisins, nos frères, du territoire libyen. C'est dire que quelles que soient les précautions que nous prendrions pour sauver nos liens de fraternité, ou au moins nos rapports de bon voisinage, d'autres considérations commandent certaines factions du pays frère pour creuser le plus possible la logique du conflit et la politique de l'animosité. Et c'est ce Mur d'Essid qui dévoile à présent ces sentiments de malveillance et leurs visées suspectes. En effet, voilà que le samedi 11 juillet 2015, le conseil supérieur des révolutionnaires de Libye (Fajr Libya) se met à critiquer sévèrement l'amorce de construction de ce mur qui, selon ce conseil, trace les frontières « d'une manière unilatérale et sans consultation préalable avec les autorités légitimes libyennes ». En plus, il considère cet acte comme « une agression contre la souveraineté libyenne », contraire aux lois et aux conventions internationales. Evidemment une menace s'en suit, ainsi que la promesse d'une réplique appropriée, à la manière de Fajr Libya. Il y a certes, dans cette réplique de la faction libyenne, une question de légitimité à revendiquer et à faire valoir, surtout à un moment où on parle de la signature, dans la soirée du samedi 11 juillet 2015, à Skhirat, au Maroc, d'un accord “de paix et de réconciliation” proposé par l'ONU aux belligérants libyens. Toutefois, au-delà de ces enjeux spécifiques aux forces en conflit en Libye, l'attitude de Fajr Libye trahit une intention profonde qui couve sous sa quête de légitimité et de maîtrise du pouvoir dans le pays, en l'occurrence l'intention de raviver le conflit frontalier pour l'utiliser dans une stratégie de chantage et de marchandage, de pression et de provocation, à même d'envenimer longuement et gravement les relations de fraternité solidaire et de bon voisinage pacifique entre la Libye et la Tunisie. Il apparaît clairement alors qu'une victoire de Fajr Libya serait le prologue d'une période d'instabilité fâcheuse et de frictions déplorables et que de ce fait, notre neutralité diplomatique ne serait pas de bonne intelligence, même si pour l'essentiel, nous devons maintenir le cap sur les principes de la non ingérence et de la légitimité internationale. On comprend que notre ministre des Affaires étrangères, Taïeb Baccouche, affirme n'avoir reçu « aucune contestation officielle en rapport avec la construction de la muraille en sable sur les frontières au niveau des postes de Ras Jedir et Dhehiba ». Mais on comprend surtout que cette réponse est une façon d'éviter d'enfoncer le couteau dans la plaie et on espère que, dans l'alcôve de notre diplomatie, une cellule de veille et d'étude de la question reste dans la perspicacité qui se doit et dans l'exploration nécessaire des scénari éventuels, pour dévancer et essayer d'éviter toute surprise et toute attaque « par derrière ».