Le dossier des nominations partisanes est toujours en stand-by. Les récents développements en matière de procès instruits contre des terroristes présumés, où la police arrête et le parquet relâche permettant aux premiers de s'évanouir dans la nature, étonnent plus d'un. Chacun défend son poulain et tant pis si la cacophonie règne Tout observateur averti en convient. La cohabitation de la majorité gouvernementale est synonyme d'équilibre catastrophique. Les accords politiques annoncés et tacites ont généré une situation inextricable. Consensus par-ci, coups fourrés et frictions par-là, chacun pour soi et Dieu pour tous. La mainmise sur les principaux organes de l'Etat est de mise. Ils font l'objet tantôt d'un consensus, tantôt d'une concurrence acharnée entre les partis Nida Tounès et Ennahdha. Avec respectivement 86 et 69 sièges sur les 217 que compte le Parlement, les deux formations disposent de la majorité absolue. A eux seuls, ils totalisent 155 sièges, dépassant les deux tiers de députés. En s'adjoignant les 24 sièges de l'Union patriotique libre et du mouvement Afek, ils disposent d'une majorité plus qu'écrasante de 179 sièges sur 217. Pourtant, côté choix et programmes, les deux partis sont loin de partager les mêmes valeurs, hormis leurs choix capitalistes, libéral pour le premier, libéral à dents de loup pour le second. N'empêche, le pouvoir les réunit depuis l'avènement du gouvernement Habib Essid en février dernier. Les deux principaux partis de la majorité gouvernementale clament à hue et à dia que les résultats du scrutin législatif imposent qu'ils soient unis par la force des choses, la nécessité historique, en d'autres termes. Et pourtant. Le gouvernement Essid est supposé parachever la fameuse feuille de route pour la sortie de crise en vertu de laquelle avait été mandaté le gouvernement précédent, celui de Mehdi Jomâa. Parmi les priorités de cette feuille de route figure la révision des nominations partisanes dans l'administration. Un petit rappel s'impose à ce propos. Hassen Zargouni, président de Sigma Conseil, a affirmé il y a peu que 6.036 ordres de nomination ont été publiés au Journal officiel durant les gouvernements de la Troïka, du 29 décembre 2011 au 24 décembre 2013. Lesdites nominations ont permis à la Troïka de placer environ 7.000 cadres, soit une moyenne de neuf nominations par jour. Selon le site l'Economiste maghrébin, «Rien qu'en 2013, il y a eu 4.538 ordres de nomination qui ont concerné plus de 5.500 postes dans des sociétés publiques, des ministères et des institutions régionales et locales représentant l'Etat», confirme Hassen Zargouni. Le sursis à l'exécution s'avère coûteux. Aujourd'hui, dans la police, au parquet et ailleurs, la guerre des corps fait rage. Guerre des polices, guerre des corps de magistrats, guerre entre police et magistrature... Chacun protège ses poulains. Le plein jeu de la règle de droit et de la souveraineté des institutions en pâtit. Les derniers développements, en matière de procès instruits contre des terroristes présumés, en sont témoins. La police arrête, le parquet relâche, les présumés terroristes s'évanouissent dans la nature. La police arrête, le parquet relâche, la police ré-arrête, des actions en justice pour torture sont intentées. Des associations et autres instances de la société civile interfèrent... Encore une fois, les partis s'avèrent au-dessus de la patrie. L'institution est sacrifiée sur l'autel de la coterie. La cacophonie médiatique en rajoute au flou. L'opinion ne sait plus qui fait quoi sur fond de jeu pervers entre l'ombre et la proie. Habib Essid préfère temporiser. Déjà qu'il est aux prises avec les représentants de la majorité gouvernementale qui ont refusé en bloc, la semaine dernière, le programme du gouvernement tel qu'il le leur a présenté, dans un document de près de 250 pages ! Tantôt, il crie à tout vent qu'il n'applique ni le programme de Nida Tounès ni celui d'Ennahdha. Tantôt, il présente son programme aux représentants des partis de la majorité. Il lui est même arrivé de se déplacer au siège d'Ennahdha — puis chez d'autres partis — pour discuter des affaires, suscitant de profondes interrogations dans l'opinion sur l'opportunité et la signification de ce déplacement de primeur. Bref, c'est le cafouillage et le mélange des genres. Pourtant, les urgences économiques et sociales empirent. Et les partis politiques de la majorité n'en finissent pas de mener leur guerre de position en vue du contrôle des charges et des dignités. A se demander si les politiciens du jour sont bien conscients que le pourrissement latent de la donne économique et sociale risque de leur en coûter beaucoup. Tous tant qu'ils sont. La guerre des tranchées au sommet de l'Etat, comme toutes les guerres absurdes, pourrait bien finir en queue de poisson, faute de vrais combattants.