Par Khaled TEBOURBI Fin de festivals. Les commentaires se bousculent. Bons et moins bons. Ainsi va l'été des spectacles, d'abord «unitaire», «velléitaire», au final contrasté, controversé. Une réflexion s'ébauche aussi. La période l'exige. Un bail que la culture n'a à ce point paru urgente, déterminante. «Ça remonte aux fondateurs», a rappelé la ministre Latifa Lakdhar (entretien à La Presse du 16 août dernier). A cette époque, Bourguiba et les siens voulaientt édifier la Tunisie moderne, en pariant sur «la matière grise de la jeunesse». Ils ont investi dans les écoles et se sont dépensés sans compter pour que le savoir et l'intelligence fassent corps avec la création et le talent. C'est cette belle «osmose» que l'Etat nouveau semble décidé à récupérer. Mais comment ? Le monde a comme basculé dans «son contraire» depuis. On en (re)dira un mot, plus loin. Qu'a-t-on le plus commenté cette semaine ? Le concert de clôture de «Carthage», sans conteste. Bouchnaq y a fait un triomphe. Quelque huit mille spectateurs, de tous âges au surplus, ce qui a fait dire à beaucoup que les 30% consacrés à la participation tunisienne étaient (sont !) «vraiment insuffisants». Nos chanteurs sont «capables de mieux», a dit Hassen Dahmani, au demeurant réjoui du spectacle d'une telle foule. Voire, requinqué : «N'est pas signe, lança-t-il, que notre public nous revient, que nous lui manquons...» ? Le «manque» est vrai ; l'option «internationaliste» des 50e et 51e éditions du festival de Carthage a certainement ravivé «les nostalgies locales». Les bourdes de Lauryn hill y ont sûrement rajouté. Maintenant, force est de rafraîchir un peu les mémoires : en 2008-2009 quand nos artistes se taillèrent la part du lion, personne (ou presque) n'avait enflammé le théâtre, et les recettes étaient loin d'être cossues. Reste que les exemples de Bouchnaq et d'«El Hadhra», ceux aussi de Ziad gharsa et de Sabeur Rebaï, lors de la session précédente, ne devraient pas demeurer sans «suite». A une condition : que tout le monde se mette au travail, dans la création «pure et dure», la voie des grands festivals est définitivement tracée, on ne peut plus faire marche-arrière au prétexte de «l'identité» ou de «la localité». Commentées aussi (controversées ?) les très chuchotées (avant coup) «Layali Carthage». Finalement, elles se sont «conclues», et elles ont bel et bien lieu. On n'a pas changé d'avis : ces soirées, ont beau se parer de «nobles intentions» (idéal artistique, résistance au terrorisme, etc.) dans la réalité des faits, au concret du concret, ce sont de simples et juteuses opérations de profit. Il y a des agents de spectacles autour de ces concerts à gros sous, des clubs sportifs, des amicales de métiers, des troupes privées. Evidemment, ce ne sont là que points de détails, «anecdotes», comparés à la question centrale qu'évoque Latifa Lakdhar : le rôle de la culture à l'ère du jihadisme et ses liens nécessaires, vitaux, avec l'éducation. La ministre parle avec pertinence «d'une philosophie, une vision du monde, d'un ensemble de valeurs» que l'enfant doit acquérir, autrement «on peut se trouver plus tard, avec de jeunes adultes, proies faciles à des idéologies obscurantistes...» Et elle conclut : «Il faut que la culture(en réintégrant l'école)soit une dimension essentielle dans la structuration de la personnalité de l'enfant...». Aucune objection : les trois premières générations de l'Indépendance ont réussi, et sont d'un grand apport encore, en recevant cette formation. mais rappel aussi : ces mêmes générations n'avaient pas connu les médias, ni plus particulièrement, l'audiovisuel privé, tels qu'ils se pratiquent aujourd'hui. Ils n'avaient pas non plus assisté à la «privatisation des arts» et à la régression de fond qui s'en était suivie. Moralité : ramener la culture à l'école ne suffira pas de nos jours ; ce n'est qu'un des maillons de «la chaîne vertueuse», la plus importante certes, mais la plus fragile, paradoxalement, tant que les médias et l'audiovisuel publics n'y seront pas alignés, tant que des accords convenus et adéquats et autres cahiers des charges n'impliqueront pas les médias et l'audiovisuel privés. Tant que les arts eux-mêmes (one man shows, commerce des variétés, etc.) ne se reconnaîtront pas dans la culture. Tant qu'ils seront des maillons manquants.