Ahlem Mostaghanmi nous déclame des dizaines de poèmes où se trouve, disséminée parmi eux, une passion entre début, embrasement et fin, comme une histoire à lire à part, d'abord repue d'épanchements, mais amère à sa fin, car elle ne voulait être l'esclave de personne, pas même de celui dont elle s'est follement éprise. ‘'Toute une vie, j'ai trahi la poésie. J'en ai été constamment écartée par une écriture qui la dépassait en verve. J'ai tenu à ce que la vie soit mon plus beau poème. Ne cherchez pas mes poèmes dans ces textes, ce recueil n'est que barques de papier pour une femme portée par les vagues de l'avidité et à laquelle l'amour n'a laissé de main que pour lui permettre de ramer avec un crayon'', avertit Ahlem Mostaghanmi. Car l'auteure, universellement connue comme l'un des écrivains arabes les plus prolifiques avec plus de 2,5 millions de volumes vendus à partir de son Best Seller ‘'Dhakiratou al jasad'' (La mémoire de la chair), a justement commencé sa carrière littéraire par la poésie alors qu'elle menait, à 17 ans, une émission nommée ‘'Hamassat'' (chuchotements) sur Radio Alger consacrée à la poésie. Elle ne revient à ses premières amours qu'aujourd'hui, avec cet ouvrage, à 62 ans ! Un surhomme digne d'adoration ? C'est donc avec une très haute opinion de l'amour que l'auteure se lance dans ce recueil de 34 poèmes, des amours, certes non platoniques, mais exigeant irrévocablement le plus total don de soi dans une relation parfaitement symétrique où il n'existe ni maître ni esclave. Un amour sain et ‘'normal'', si l'on ose dire. Celui auquel chacun est en droit de s'attendre. Mais pas précisément, au sens de Ahlem Mostaghanmi... En vérité, elle pose un nouveau genre : ‘'Le besoin de l'aimer comme une auteure'' ! Et on se prend à se demander si les gens de plume ont droit à plus que les ‘'autres'', mais l'auteure s'explique: ‘'Parfois j'ai besoin de te perdre pour "gagner" ma littérature, que tu quittes un moment mon journal pour t'installer dans mes ouvrages. J'ai besoin d'abandonner ta beauté mythique pour écrire une légende dont tu serais le héros.'' Dans un effort de justification, elle nous décrit dans un long poème l'homme qui mérite de tels égards pour un surhomme digne d'adoration. ‘'Réceptacle de mon avidité'' (qui donne son titre à l'ouvrage entier) se présente ainsi en ode à une virilité parfaite, autosuffisante, subjuguant une féminité nécessairement dans la même compréhension. Et l'auteure le dit comme dans un soupir ‘'Ô comme ma féminité t'a attendu !'' Un simple mortel... si imparfait ! Des lézardes apparaissent pourtant peu à peu dans cet édifice sentimentalo-idyllique que Ahlem Mostaghanmi a construit autour de l'objet de son adoration. La relation symétrique parfaite se change en antagonisme... nous allions dire parfait! Sa trahison appelle la sienne. Mais elle n'est pas n'importe quelle femme et sa réponse est autre. Pas de bagarre, pas de déchirements... seulement l'oubli ! C'est de la sorte qu'elle le ‘'punit'' dans un poème enveloppé d'une forme indicible de violence: ‘'L'oubli est la plus grave des trahisons''. Bref, elle l'oublie. C'est la pire réponse à tout ce qu'ils ont vécu ensemble et qu'il a été le premier à trahir. Dans un dernier éclat, elle va encore plus loin dans l'oubli : la théorisation. Et le constat qu'il ne s'agit plus d'un être mythique mais d'un simple mortel... si imparfait ! C'est le coup de grâce dans un poème assez étonnant ‘'Tu étais leur maître et tu es devenue un des leurs''... car il n'avait pas compris qu'elle voulait qu'ils soient comme des jumeaux d'amour et qu'il a obéi à l'appel ADNique d'une longue lignée d'hommes qui ne veulent être pour la femme que son maître. L'ouvrage ‘'Réceptacle de mon avidité'', 165p., mouture arabe Par Ahlem Mostaghanmi Editions Nawfel, 2015 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis