A cause des quantités impressionnantes de lait dont elles disposent aujourd'hui, les centrales laitières risquent de refuser le lait des centres de collecte pendant la période de haute lactation A l'approche de la période de haute lactation, les éleveurs de vaches s'inquiètent car le stock régulateur des centrales laitières qui comporte des quantités très importantes de lait n'a toujours pas été écoulé alors que les mois d'octobre et de novembre correspondent à une période de basse lactation. Si, d'ici février, une partie des 68 millions de litres qui constituent ce stock ne sont pas écoulés sur les marchés local et étranger, les centrales laitières refuseront d'acheter la nouvelle production laitière des éleveurs. Ces derniers craignent, par conséquent, que le scénario de 2013 ne se reproduise et que les millions de litres qui seront produits au cours de la prochaine période de la haute lactation ne leur restent sur le dos. Ils seront obligés, alors, dans un mouvement de colère et pour faire prendre conscience au gouvernement de la gravité de la situation de jeter le surplus de leur production, ce qui correspondrait à du pur gaspillage! L'existence des mécanismes de régulation (stockage, séchage et export) qui ont été mis en place par le gouvernement n'ont pas empêché l'augmentation progressive du stock régulateur. Omar El Béhi, vice-président de l'Utap, chargé de la production animale, impute la situation catastrophique dans laquelle se trouve actuellement la filière aux dysfonctionnements qui existent au niveau des différents maillons de la chaîne de production, de la collecte et de la transformation. «C'est la première fois que le stock régulateur atteint ces proportions, a relevé M. El Béhi. A titre de comparaison, ce stock était à 35 millions de litres en décembre 2013. Et, pourtant, la filière a vécu une grande crise. Que dire aujourd'hui avec de telles quantités ! Si le stock régulateur actuel a connu une forte augmentation, c'est, entre autres raisons, parce que l'acheminement illégal de lait vers la libye a été stoppé». Il faut déjà rappeler comment fonctionne la filière de production de lait. Les éleveurs vendent leur lait aux centres de collecte qui reçoivent de l'Etat une subvention de 70 millimes par litre de lait stocké. Ces centres de collecte vendent, à leur tour, le lait aux grandes centrales laitières qui reçoivent elles aussi une subvention de l'Etat de 115 millimes par litre de lait transformé. Celles-ci ont conclu un accord avec le gouvernement pour constituer, chaque année, un stock régulateur à partir de 25% de la production laitière, afin d'alimenter le marché local en cas de pénurie. Réduire le stock régulateur Quant aux éleveurs, ils sont les grands perdants de la filière. En effet, alors que le coût de production du lait s'élève à 850 millimes le litre, la majorité des producteurs écoulent leur production à 736 millimes le litre en moyenne. Cette année, leur inquiétude est d'autant plus justifiée qu' ils vendent à perte et que leur production risque de surcroît d'être refusée par les grandes centrales laitières pendant la haute période de lactation (mois de février), à causer des quantités impressionnantes de lait qu'elles ont stockées. Selon Omar El Béhi, la difficulté d'exporter du lait local sur les marchés étrangers associée, en effet, à une libéralisation des quotas en europe — les quantités de lait produites en Tunisie servent essentiellement à alimenter le marché local — et le déraillement du mécanisme de séchage (l'usine de séchage d'El Mornaguia ne fonctionne pas à pleine capacité) sont en grande partie responsables de l'augmentation du stock régulateur. Afin d'éviter que la filière de production de lait ne s'enraye, des mesures doivent être prises. Il faut que le gouvernement tienne parole en achetant dix millions de lait et qu'il encourage l'exportation du lait en accordant une prime à l'export aux centrales laitières, selon le vice-président de l'Utap. Afin, par ailleurs, de pousser les centrales laitières à procéder au séchage du lait dont elles disposent, le gouvernement doit augmenter la taxe du lait en poudre importé et prendre des mesures pour que l'usine de séchage d'El Mornaguia fonctionne à plein rendement. «Pour réduire le stock régulateur, il faut réfléchir aux options de l'exportation et encourager le séchage du lait, a ajouté, à ce propos, M. El Béhi. Il faut encourager l'exportation du surplus de lait contenu dans le stock régulateur sur des marchés étrangers. Par ailleurs, il faut dynamiser le mécanisme de séchage. Or les centrales laitières préfèrent importer du lait en poudre plutôt que de procéder au séchage du lait dont elles disposent car cela leur coûte moins cher». Il n'empêche que les prémices de la crise sont déjà là : le week-end dernier, une grande centrale laitière a refusé d'acheter du lait, invoquant une panne de ses équipements. Une raison que les éleveurs ont du mal à croire.