L'affaire des otages tunisiens enlevés et séquestrés par une milice armée à Sebrata pose, de nouveau, la problématique suivante : peut-on refuser de négocier avec les milices au risque de menacer la vie des innocents ? Chassez le naturel, il revient au galop. L'adage semble s'appliquer, de plus en plus, aux rapports que le gouvernement tunisien est obligé d'entretenir avec les milices armées opérant en Libye. A chaque fois que l'un des dirigeants de ces milices est arrêté en Tunisie, on assiste à un scénario devenu coutumier : un groupe de ressortissants tunisiens travaillant en Libye est pris en otage. Leur libération est automatiquement conditionnée par le relâchement du chef milicien. On a pris également l'habitude d'assister aux déclarations du gouvernement tunisien qui jure ne jamais négocier avec les ravisseurs terroristes mais qui finit toujours par obtempérer à leurs conditions et satisfaire leurs revendications, la préservation de la vie des Tunisiens pris en otage finissant par prévaloir. Hier, une nouvelle affaire similaire a éclaté. Il s'agit de la prise en otage, à Sebrata, en Libye, de 70 Tunisiens originaires de Kasserine. «Ils sont à l'heure actuelle séquestrés à Sebrata par des milices armées de la région qui réclament la libération de Hassen Dhaouadi, l'un des dirigeants de ces milices détenu en Tunisie», révèle Mustapha Abdelkébir, personnalité libyenne se présentant comme l'un des défenseurs des droits de l'Homme dans la Libye sœur et ayant participé déjà, selon ses dires, à la libération, récemment, de deux femmes arrêtées injustement emprisonnées en Libye. En attendant les développements que pourrait connaître l'affaire, le gouvernement tunisien, à travers le ministère des Affaires étrangères, garde le silence total dans la mesure où pas un communiqué confirmant ou infirmant les déclarations de Mustapha Abdelkébir n'a été publié jusqu'ici (au moment où nous rédigions le présent article). Mustapha Abdelkébir est-il devenu le négociateur attitré avec les milices ? La seule information qui pourrait être considérée comme officielle, toutes réserves gardées, apparaît pour le moment à travers une dépêche diffusée, hier, par l'agence TAP. On y lit notamment : «Plusieurs habitants de la délégation de Laâyoun relevant du gouvernorat de Kasserine ont observé lundi 12 octobre un mouvement de protestation devant le poste de la Garde nationale pour dénoncer la prise d'otage en Libye de plus de 70 Tunisiens originaires de Kasserine». Badra Gaâloul, présidente du Centre international des études sécuritaires, stratégiques et militaires, se pose les questions suivantes : «Pourquoi a-t-on procédé à l'arrestation de Hassen Dhaouadi alors qu'à ma connaissance, son nom n'est pas sur les listes d'Interpol ? N'était-il pas judicieux de le refouler et de le renvoyer vers son pays quand il a essayé d'entrer en Tunisie, surtout qu'on savait qu'il est le dirigeant de l'une des milices armées à Sebrata et que ces milices allaient réagir contre son incarcération ? Ma troisième question concerne Mustapha Abdelkébir qui se présente comme le négociateur attitré de la Tunisie avec les différentes milices libyennes armées sans que l'on sache si les autorités tunisiennes l'ont chargé de cette mission ou s'il s'est autoproclamé négociateur œuvrant au nom de notre pays. Encore une question : est-il admissible que ce soit Abdelkébir qui annonce la prise d'otage et les demandes des ravisseurs alors que les autorités tunisiennes n'ont rien annoncé jusqu'ici ? Il est temps que l'on mette un terme définitif à ce flou inexplicable qui a toujours accompagné ce genre d'affaires. En témoignent les négociations menées par les hommes d'affaires en vue de la libération d'un groupe de Tunisiens (près de 200) enlevées en Libye en contrepartie du relâchement de Oualid Kouleib, lui aussi chef d'une milice armée libyenne». «Actuellement, il n'existe pas de gouvernement en Libye. Il existe plutôt plusieurs gouvernements sous la forme de milices armées. Juridiquement, un gouvernement ne peut pas traiter avec des milices. Mais en réalité, il y aura des négociations secrètes. Malheureusement, notre pays ne dispose pas des techniques nécessaires pour réussir ce genre de négociations. Seulement, nous sommes obligés d'y recourir dans le but de sauver la vie des otages», souligne le Pr Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit à l'université El Manar II. Pour ce qui est de l'arrestation de Hassen Dhaouadi, le Pr Abdelli précise : «S'il est accusé d'un crime qu'il a commis sur le sol tunisien, il est logique qu'il soit arrêté et jugé en Tunisie. Il peut être aussi arrêté en Tunisie et y être jugé même si le crime qu'on lui reproche a été commis en dehors de la Tunisie mais à condition que ce crime porte atteinte à la sécurité extérieure de notre pays».