Œufs durs, mloukhia et couscous au qadid, autant de mets qui ont une portée symbolique. La célébration, par la communauté musulmane, de la fin d'année de l'Hégire revêt un goût particulier. D'ailleurs, depuis deux jours, les foyers tunisiens dégagent des effluves de saveurs typiques. Les us et coutumes exigent que l'on fête le nouvel an musulman par des mets bien précis. En effet, le petit déjeuner doit absolument contenir des œufs durs, qui symbolisent la fertilité. Plus il y a d'œufs à table, plus l'on aspire à une année qui apporterait de bonnes surprises. Les enfants se réjouissent de ce petit déjeuner rigolo qui leur donne la possibilité de choisir parmi les œufs, le plus grand et le plus appétissant. La corète enivre les narines Entre-temps, le parfum prononcé et envahissant de la mloukhia se propage à travers les quartiers. La mloukhia n'est autre qu'une sauce verte qui vire au noir. Elle est préparée essentiellement à base de poudre de corète qui est une plante fort nutritionnelle, et constitue en outre un aliment recommandé contre le stress et l'anxiété. Pour préparer ce mets traditionnel, on fait revenir la poudre de corète dans de l'huile puis on l'arrose d'une grande quantité d'eau bouillante. Ce mélange gluant et bizarroïde, d'apparence, est cuit à feu doux pendant de longues heures. Nos aïeules prenaient tout leur temps pour préparer la mloukhia sur le kanoun (ustensile en terre cuite qui contient du charbon et sert de feu pour cuisiner). Entre-temps, les femmes nettoient la viande de veau et l'assaisonnent une nuit à l'avance afin qu'elle prenne le maximum de saveur d'épice. La mloukhia spécial fin d'année a une grande symbolique qui n'a, curieusement, rien à avoir avec le parcours du prophète : elle est cuisinée dans l'espoir que l'année qui s'annonce soit « verte » c'est-à-dire porte-bonheur. D'ailleurs, et contrairement à la mloukhia que l'on cuisine au cours de l'année, celle spécial nouvel ne contient ni ail ni oignons... Couscous au «qadid» et aux fèves séchées Autre mets que l'on déguste essentiellement au nouvel an : le couscous au qadid et aux fèves séchées. Ce mets inaugure la consommation des ménages de « qadid ». Le qadid constitue un condiment typiquement tunisien. Il s'agit de l'approvisionnement en viande séchée et confite pour l'année. Les femmes tunisiennes ont tendance à être les plus économes de toutes. Elles ont appris de mère à fille à utiliser le mouton du sacrifice en sa totalité. Aussi, les viandes des côtes de mouton, qui ne sont utilisées ni dans les ragoûts ni dans les pâtes, sont-elles assaisonnées, séchées puis frites pour servir de condiment aussi succulent que pratique pour les repas de dernière minute. Le couscous au qadid s'accompagne d'un féculent à portée symbolique : les fèves séchées symbolisent l'argent. Les Tunisiens souhaitent ainsi que l'année qui s'annonce soit rentable et fructueuse. Notons que ce couscous spécial s'accompagne, dans bien de régions, de raisins secs et de fruits secs. Au Cap Bon, par exemple, il est garni d'œufs durs et de magnifiques poupées de sucre pour que l'année soit douce. Il est clair que les Tunisiens ne manquent pas une seule occasion pour se régaler et pour conférer aux fêtes religieuses une touche à la fois gourmande et symbolique. Bonne année à tous !