A Nabeul, comme c'est le cas dans tout le territoire tunisien, les jours précédant l'Aïd Al-Kebir (la fête du sacrifice), comme un phénix, certains petits métiers renaissent de leurs cendres. Désormais, les aiguiseurs pullulent dans les quartiers de la ville pour affûter tout un arsenal servant à égorger, dépiauter et découper le mouton. D'autre part, quelques échoppes de forgeron, du côté de Lahwach, de Sidi Achour ou du R'bat, font de la résistance aux barbecues préfabriqués, vendus pour l'occasion aux hypermarchés, en offrant leur propre matos «made by» des mains artisanales. De leur côté, les ménages mettent le paquet pour s'approvisionner en ces incontournables épices : safran, romarin, cannelle, thym, feuilles de laurier, fenouil, chouch il ward (boutons de rose de Damas)… et autres condiments nécessaires à l'assaisonnement et l'aromatisation de plats variés, au goût relevé et richement confectionnés ainsi que les amandes et marrons secs. Cela sans oublier la préparation des légumes qui serviront par la suite à la préparation des plats durant les deux jours de l'Aïd. Le mchalouat, un plat typiquement nabeulien Le jourJ, la ville de Nabeul prend une allure désertique où seuls les bouchers de métiers ou occasionnels (ayant l'habitude d'exercer ce métier uniquement le jour de l'Aïd Al-Idha) y courent ses rues en proposant leurs services. Hassan nous déclare : «Chaque Aïd, moi et mes fils nous offrons nos services. Nos tarifs pour l'égorgement du mouton sont de 30 DT. Quant aux frais du taksir sont aux alentours de 15 DT. Pour aujourd'hui, on a prévu de rendre visite à une dizaine de familles. A noter que vers l'après-midi, mes fils, avec l'aide d'un chalumeau, offrent le service du tchaouchit “roussir” la tête et les pattes du mouton à 5DT/mouton». Depuis des lustres, les femmes nabeuliennes, connues pour leur attachement à des traditions culinaires millénaires et une gastronomie qui prend racine dans la cuisine andalouse, s'ingénient le jour de l'Aïd et suivants à confectionner des plats aussi riches que variés. De ce fait, après l'immolation et de la dépiautation du mouton égorgé selon le rituel islamique, les ménagères entament d'emblée la préparation du mchalouat : un plat typiquement nabeulien et cuisiné aussi du côté de la ville de Dar Chaâbane El-Fehri. Selon Mme Neïla, il s'agit de prélever des morceaux divers de viande de mouton (notamment à partir des côtes, du collier, de l'épaule, du gigot droit, du cœur, la rate et du foie) lesquels sont assaisonnés de sel, curcuma, cannelle, chouch il ward, huile d'olive et arrosés par un mélange d'eau de fleur d'oranger (le bigaradier) et de safran broyé par un bras de mortier en cuivre chauffé. L'on procède ensuite à la cuisson. Le plat doit être servi chaud avec à la discrétion gustative du consommateur un trait de jus de citron accompagné par un cocktail de persil et d'oignons finement découpés. Mrouziya : un délice andalou «sucré-salé» Le plat du deuxième jour de l'Aïd est le couscous bel osban préparé avec la daouara nettoyée la veille. D'autre part, à Nabeul, on ne peut pas parler d'Aïd sans la préparation de la fameuse mrouziya appelée apparemment sous d'autres cieux ragoût de marrons ou «marqa hloua» (ragoût sucré). C'est un plat à base, bien entendu, de viande de mouton, laquelle est mélangée avec des raisins secs, des amandes mondées, des pois chiches auxquels on rajoute les ingrédients nécessaires et les marrons secs (trempés dans l'eau 24 heures auparavant). Pour la petite histoire, dans son célèbre traité gastronomique datant du XIIIe siècle, intitulé, «Foudalat al-Khiwan fi tayyibat at-taâm wal-alwan» (Les délices de la table et les meilleurs genres de mets), Ibn Razin Tujibi, originaire de Murcie dans la région de l'Andalousie, en Espagne, fournit parmi ses 450 recettes, quelque 60 pages consacrées aux viandes dont la fameuse mrouziya salée-sucrée. Alors que selon l'historien Abdessattar Amamou la mrouziya vient du mot marouaziya, une appellation originaire de la ville de Maroua en Iran. A noter que la mrouziya fait aussi partie du patrimoine culinaire marocain surtout au niveau des villes impériales comme Rabat et Marrakech. De son côté, Mme Neïla ajoute : «On ne cuisine pas el mrouziya dans une cocotte minute, elle doit être préparée à feu doux et dans un tagine en cuivre. Jadis, nos grand-mères préparaient ce plat dans un tajine en terre cuite sur le feu d'el qalaîiya (une sorte de tabouna miniature faite en terre cuite spécialement quelques semaines avant l'Aïd pour être utilisée lors des préparations des différents plats). En revanche, la mrouziya ne se mange pas chaude. Il vaut mieux la laisser refroidir avant de la consommer accompagnée de pain traditionnel. En parallèle, les Nabeuliens préparent aussi el qlaya, genre de ragoût à la viande de mouton, préparé le deuxième jour de l'Aïd Al Kébir». Et pour ne pas conclure, il reste à noter que depuis des années, plusieurs Nabeuliens ont pris la fâcheuse habitude de laver les peaux de leurs moutons avec l'eau de mer, du côté de Tirchit lihoud (le rocher des juifs) à Nabeul-Plage, laissant derrière eux des eaux troubles, pourpres et polluées par du sang. Certes cette pratique a été interdite ces dernières années par la municipalité de la ville de Nabeul vu l'impact négatif qu'a cet acte sur l'environnement, mais plusieurs de nos concitoyens continuent de le faire clandestinement, dans d'autres endroits sur la côte entre Nabeul et Hammamet : un comportement irresponsable et condamnable ! Toutefois, l'Aïd Al-Kébir à Nabeul reste par excellence un véritable hymne à la générosité, au don et à la clémence où spiritualité et traditions ancestrales sont, tout bonnement, bien ancrées au beau fixe dans l'esprit des Nabeuliens depuis des générations !