En attendant que Moëz Ben Gharbia revienne en Tunisie et ouvre sa boîte noire, le site «Dzairna News» révèle que les deux leaders du Front populaire ont été assassinés sur ordre des renseignements qataris. Quel crédit accorder à ce genre de révélations ? La question s'impose d'autant plus que les accusations colportées par le site ne contiennent ni noms ni faits précis Il semble que la course à la révélation des secrets relatifs aux assassinats politiques survenus en Tunisie en 2013 (Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi) et surtout à l'identité des commanditaires de ces assassinats ne soit pas près de connaître une fin de nature à lever les suspicions et les accusations qui pèsent sur les uns et les autres. Et quand les services de renseignements d'un pays ou d'un autre s'invitent à la messe générale, il faut s'attendre à des «révélations fracassantes», à la publication de noms de personnalités qu'on croyait «neutres, indépendantes et intègres mais qui sont compromises jusqu'au cou, preuves à l'appui» et à des informations qui frisent le ridicule sur l'activisme des services de renseignements étrangers en Tunisie «exerçant leurs activités au vu et au su de tout le monde, les agents y attachés n'hésitant pas à se présenter en leur qualité». Et les scoops de se multiplier sur les réseaux sociaux au point qu'on ne sait plus maintenant qui croire, tellement les informations sur la sécurité parallèle et les agents qui y exercent et sur l'identité des responsables politiques qui savent tout mais gardent le silence sont livrées en détail comme s'il s'agissait de simples rapports administratifs à l'accès desquels tout un chacun a droit. Hier, le site «Dzairna News» nous a livré, en exclusivité, l'information que tout le monde attend depuis près de trois ans : «C'est bien le service des renseignements qatari qui est le responsable de la liquidation de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Ce service a procédé en 2012 à la création d'un service de renseignements parallèle composé de politiciens appartenant à Ennahdha et d'éléments étrangers (libyens et autres nationalités) agissant sous la supervision directe des Qataris». Ainsi, les choses sont claires pour le site «Dzairna News» qui ajoute : «Le Front populaire est considéré par les commanditaires des assassinats de Belaïd et Brahmi comme le "Front des problèmes" (Jabhat al machakel), alors que Nida Tounès ne constitue pas un réel danger pour les islamistes et qu'on pouvait négocier avec ses leaders dont en premier lieu son président Béji Caïd Essebsi connu pour son esprit pragmatique». Une bataille de renseignements sans merci «Dans les versions produites par les services de renseignements, il y a toujours des informations qui peuvent être véridiques. Mais, il ne faut jamais se fier aux renseignements d'un pays ou d'un autre, car ils ne livrent jamais les vérités dans leur intégralité. Malheureusement, beaucoup de médias, plus particulièrement les sites électroniques, prétendant faire du journalisme d'investigation, tombent dans le piège facilement et répercutent ces informations comme si elles étaient des vérités avérées. Pour ce qui est des révélations sur l'assassinat de Belaïd et Brahmi, je pense qu'il s'agit d'un nouvel épisode de la lutte que se livrent les renseignements qatari et émirati. Il reste toujours difficile de prouver qui a donné les ordres pour tuer les deux leaders de la gauche tunisienne. Et il n'est plus un secret pour personne de relever que le Qatar et les Emirats cherchent par tous les moyens à imposer leur leadership sur le monde arabe», confie à La Presse l'expert en géostratégie Naceur Héni. Il précise encore : «Tous les spécialistes en matière de suivi des groupes terroristes et même les citoyens intéressés savent que ces groupes terroristes sont noyautés par les services de renseignements et que ces derniers ont des ramifications dans les médias. Donc, il est normal qu'on assiste périodiquement à de telles révélations. Il est certain que les services des renseignements étrangers ont joué un rôle quelconque dans l'assassinat de Belaïd et Brahmi. Reste à savoir qui peut le savoir ou le détecter. En Tunisie, nous ne disposons pas encore d'un appareil de renseignement capable de décoder le langage des services analogues. La création d'un tel appareil s'impose comme une priorité absolue». La méfiance doit rester de mise Pour le Dr Fayçal Chérif, analyste militaire, «il faut rester méfiant à l'égard de ce que publient ces sites électroniques qui n'apportent jamais de preuves tangibles ou irréfutables sur ce qu'ils avancent. Ils ne citent pas de noms qu'on pourrait interroger via l'appareil de la justice». «Accuser les renseignements qataris d'être derrière l'assassinat de Belaïd et Brahmi relève d'un règlement de compte avec d'autres services de renseignements agissant sur le territoire national. Tout analyste qui se respecte ne peut que se méfier de ce genre de révélations qui peuvent mener à de fausses pistes. Moi personnellement, j'ai beaucoup de réserves face à ce nouveau genre de journalisme qui prétend appartenir à la presse d'investigation. En réalité, ces sites sont aux ordres de certaines parties et publient ce que ces mêmes parties veulent répercuter en fonction de leurs intérêts». Que faire pour séparer le bon grain de l'ivraie ? Le Pr Fayçal Cherif est convaincu qu'il faut prendre en considération «ces pseudo-révélations même si elles sonnent louches et c'est bien à l'appareil national de renseignements qui revient en force qu'incombe la responsabilité de les analyser et d'en tirer les enseignements qu'il faut».