Avec Mathias Enard, c'est le roman le plus érudit de la liste finale qui a été couronné mardi 3 novembre avec le prix Goncourt, la plus prestigieuse distinction littéraire en France. Boussole (Actes Sud), de Mathias Enard, raconte l'histoire d'un musicologue viennois qui parcourt l'Orient pour établir un inventaire amoureux et littéraire des contrées souvent délaissées. Dans le roman, c'est avec «Le Voyage en hiver» de Franz Schubert et «deux fumeurs d'opium chacun dans son nuage» que notre aventure commence. Un voyage bercé par les sentiments, le savoir et l'espérance pour trouver l'Orient de Mathias Enard, «une construction imaginale, un ensemble de représentations dans lequel chacun, où qu'il se trouve, puise à l'envi». Et dans son sixième roman, l'auteur ne s'en prive pas. Pour percer les mystères et la fascination de l'Orient, Mathias Enard convoque aussi bien «le djinn Google comme le génie de la lampe », que Bouddha, Balzac ou Barbara. «Je vais prendre un exemple très actuel et frappant : les princesses voilées et les tapis volants des studios Disney peuvent être vus comme «orientalistes» ou «orientalisant», ils correspondent en réalité à la dernière expression de cette construction récente d'un imaginaire. Ce n'est pas pour rien que ces films sont non seulement autorisés en Arabie saoudite, mais même omniprésents. Tous les courts métrages didactiques (pour apprendre à prier, à jeûner, à vivre en bon musulman) les copient. La prude société saoudienne contemporaine est un film de Walt Disney». Avec Enard, né en 1972 à Niort, mais attiré depuis toujours par l'Orient, c'est Les Mille et une nuits, un puzzle littéraire d'un amoureux de l'Orient, guidé par la figure centrale du livre, Franz Ritter, universitaire orientaliste et musicologue autrichien. Enard se promène dans l'univers oriental comme d'autres dans les rues de Paris, Vienne ou Téhéran. Pour illustrer les échanges incessants entre l'Orient et l'Occident, il convoque aussi bien Nietzsche le Perse, Heinrich Heine l'orientaliste, ou Goethe : «Pour Goethe, l'Orient est à l'opposé de la mort ; regarder vers l'est, c'est détourner les yeux de la Faux». Un océan de mots, raconté en une seule nuit, toujours à l'affût d'un tempo, d'une mélodie ou d'une pâtisserie. Enard essaie de nous mettre face à des vérités aussi érudites qu'insolites. Par exemple, quand il fait apparaître Kutchuk Hanim, danseuse prostituée du Nil, susceptible de nous rapprocher à la compréhension du désir d'Orient, «un désir charnel, une domination par le corps, un effacement de l'autre dans la jouissance». Enard est arabophone, il a vécu à Damas, Berlin, Beyrouth et à Téhéran où il a appris le persan. Au moment de recevoir le prix Goncourt, il revient d'Alger et de Beyrouth. Son roman Boussole est censé clore le cycle sur les rapports entre l'Orient et l'Occident qu'il avait entamé en 2003 avec La perfection du tir. Pour Boussole, il est allé bien au-delà de la seule compréhension du phénomène oriental, mais se contente à la fin du roman d'un simple constat : «On est toujours surpris par ce qui vient toujours, la réponse du temps, la souffrance, la compassion et la mort».