Rencontre avec Alfonso Campisi et flaviano pisanelli, auteurs de Mémoires et contes de la méditerranée : l'émigration sicilienne en Tunisie entre XIXe et XXe siècles, à la librairie mille Feuilles Alfonso Campisi vit en Tunisie depuis plus de 10 ans. Il est universitaire. Il enseigne à la faculté des Lettres de La Manouba. Flaviano Pisanelli, quant à lui, est maître de conférences, chercheur, professeur et poète à ses heures. Les deux auteurs ont collaboré à l'édition du livre ayant pour sujet «l'émigration sicilienne en Tunisie». Ce travail est essentiellement bâti sur des témoignages d'Italiens ayant vécu sous nos cieux pendant cette époque. Les deux auteurs ont fait appel aux souvenirs de ces hommes et femmes. Un retour en arrière, un flash-back destination Tunisie, avant et après l'Indépendance. C'était au milieu du XIXe siècle, les Siciliens étaient venus nombreux à la conquête de l'eldorado. Ils étaient partis à la poursuite de leur rêve. Et la Tunisie, terre d'accueil, les avait accueillis à bras ouverts. «Venus en barque ou en bâteau», comme le souligne Campisi, ils avaient foulé le sol d'un pays alors pluriculturel. Là où toutes les religions cohabitaient dans la paix et le respect mutuel. L'ouvrage de ces deux auteurs est, en réalité, un récit illustré par des photos d'époque, des lettres ainsi que des témoignages. Un travail spontané qui a exigé des années de recherche afin de déterminer l'importance de la communauté italienne en Tunisie. Une communauté qui a joué un rôle important dans l'essor social et culturel du pays. Pour ce faire, Campisi et Pisanelli ont sollicité la mémoire de Siciliens d'origine tunisienne, partis en Italie ou ayant émigré au Canada et aux Etats-Unis. Ils ont fait revivre en eux «des souvenirs parfois tristes, parfois joyeux», nous dit Pisanelli. Ces Siciliens se proclament avant tout des citoyens tunisiens. Ils ont planté leurs racines dans leur pays d'accueil, où plusieurs générations se sont succédé. L'originalité de ce livre réside dans le fait que les témoignages ne sont pas traduits. Les deux auteurs ont laissé chacun des interviewés s'exprimer dans sa langue italienne, française ou arabe. Ces hommes et femmes ont laissé leur cœur en Tunisie. Ils ont vécu leur départ comme une déchirure, un déracinement. Ainsi, les Italiens ont été arrachés à leur terre d'accueil où ils ont vu leurs enfants et leurs petits-enfants grandir. Après plus de 60 ans, ils sont repartis l'âme en peine. En Italie, on les avait surnommés les Italiens d'Afrique. Ainsi, affirme Campisi, «le gouvernement italien a occulté cette partie de son histoire». Et les deux auteurs condamnent cet état de fait. A l'époque, les Siciliens de Tunisie ont été accueillis dans des camps pour réfugiés dans une Italie alors renfermée sur sa propre identité. Un mur s'est hissé. Habitués à la pluriculture, ces émigrants ont eu du mal à s'adapter à un pays plutôt rigide. Il est passé le temps où La Goulette était comme la petite Italie. Là où synagogue, mosquée et église se côtoyaient. Lieu de prédilection des Siciliens, La Goulette a permis à ces hommes et femmes de déployer leurs ailes. L'adaptation aux us et coutumes s'était faite sans aucune difficulté, tant il est vrai que la Tunisie était «une sorte de mosaïque où différentes cultures cohabitaient sans peine», explique Campisi. A La Goulette, les Siciliens avaient déposé leurs valises et leurs rêves. Ils avaient travaillé dur. Et l'heure du départ vers l'inconnu a sonné. Coupés de leurs racines, ils ont buté contre une Italie qui les pointait du doigt. Mais voyez-vous, nous dit Alfonso Campisi, l'histoire est un perpétuel recommencement. Maintenant, c'est les Africains qui veulent émigrer en Italie et qui embarquent vers l'aventure, vers leur eldorado.