Par M'hamed JAIBI Les faux départs de la loi de finances en projet et les manques à gagner que certains renoncements occasionnent, inspirent de plus en plus, à mesure que fusent, de toute part, des critiques de fond et de forme, l'émergence rapide et urgente d'un véritable débat pluriel sur la fiscalité et les réformes qu'elle attend depuis si longtemps. Des ravalements de façade... En guise de réforme, l'administration fiscale se contente, depuis de longues années, à faire payer, à chaque fois, de nouveau les mêmes, ou à multiplier et alourdir les taxes diverses qui touchent les simples citoyens (salariés et classe moyenne), en s'appliquant à faire jouer, chaque fois davantage, le système des retenues à la source. Ce, alors que le discours est aux réformes de fond, à la transparence, à l'équité et à la modernisation, sur la base de «normes internationales» que nous ne voyons pas et que personne n'expose concrètement. Nous finissons, à chaque fois, par avoir droit aux mêmes ravalements de façade saupoudrés de promesses de lendemains meilleurs, que l'on ajourne à chaque fois. Révolution et justice fiscale Le changement du 14 janvier a sérieusement donné, un moment, l'impression que la légitime revendication de «justice fiscale» allait enfin se concrétiser. Même si le vocable est, en fait, interprétable, pouvant prendre selon le système ou le positionnement politique une teneur très variable. Mais, au sortir d'un régime politique qui avait peu à peu cédé plusieurs monopoles à la famille présidentielle, mis le système bancaire et financier à son service presque exclusif, épargné les énormes revenus de ses membres et de leurs protégés de toute contribution fiscale sérieuse, rien de notoire n'a vu le jour. Sachant que les promesses discursives des uns et des autres perdurent et se diversifient depuis cinq années pleines. Elargir l'assiette fiscale Les taux des impôts directs taxant les revenus nets se trouvent être, en Tunisie, tout à fait raisonnables, aussi bien pour les personnes physiques que pour les sociétés. Et rares sont les acteurs politiques ou sociaux qui réclament que ces taux soient relevés, par crainte de voir notre fiscalité affaiblir la compétitivité des entreprises et devenir dissuasive pour les investisseurs. Par contre, nombreux sont ceux qui réclament un «élargissement de l'assiette fiscale». De même, au sein de l'administration fiscale, c'est sur cet objectif que l'on se concentre, avec des variantes au niveau de son ampleur et de sa philosophie. Cependant, en matière d'élargissement de l'assiette, le projet de loi de finances actuel n'a cru bon de cibler que les bénéficiaires du régime forfaitaire dont le chiffre d'affaires dépasse les 100 mille dinars par an. Sachant que les professions d'avocat et de médecin sont accusés de sous-déclarer et confrontés à de nouvelles mesures en projet. Identifier les bonnes réformes Il se trouve que plusieurs activités fructueuses sont sous-«imposées» parce que mal contrôlées. Et même s'il n'est pas question ici d'en dresser l'inventaire, nous citerons de manière générique tous ceux qui se font payer sans facture ou «sous un mur» et que les coulisses de l'administration fiscale connaissent bien ou soupçonnent sérieusement, mais que la législation tarde à placer dans son viseur. Ne parlons pas des non patentés, du commerce parallèle et des agriculteurs de luxe qui se fendent dans la masse des paysans. Le fait est que les réformes possibles existent et ont été suggérées par divers organismes internationaux. Certaines ont été revendiquées par divers partis politiques, exposées par des experts tunisiens ou étrangers, évoquées par des ONG ou par l'Ugtt. Mais notre administration fiscale finit, à chaque fois, par renoncer au changement par crainte de l'inconnu. Ouvrir un débat pluriel sans a priori Face aux petites «mesurettes» qui s'amoncellent sans jamais répondre ni aux attentes de la finance publique ni aux aspirations des pauvres et des régions défavorisées à un relan de développement conséquent, une démarche participative gagnerait à s'inviter au débat, en toute transparence et sans a priori, celle consistant à convier toutes les forces politiques, socioéconomiques et associatives à la réflexion. Sans pour autant minimiser le rôle et la place revenant naturellement au gouvernement et aux partis de la majorité parlementaire qui le soutiennent. Des idées «de droite», «de gauche» et «de centre» peuvent être examinées en faisant jouer le droit comparé. Des experts de diverses écoles peuvent donner publiquement leurs évaluations. Des professions peuvent donner leurs points de vue. Où est le mal, si tant est que l'on puisse enfin réformer notre fiscalité ? Dans une optique consensuelle.