Taïeb Fitouri, est l'un des derniers maîtres balghagis, qui maîtrisait encore les subtilités des différentes étapes de fabrication du fameux chausson de cuir En fait, c'est d'une grande histoire qu'il s'agit : la balgha tunisienne relève de la tradition du patrimoine matériel de la Tunisie, et les blaghgias, au même titre que les chaouachias ou les hrayrias, appartenaient à l'aristocratie des souks. Aujourd'hui, les blaghgias ont pratiquement disparu, leurs échoppes ont été squattées par le «made in China», et si l'on trouve encore des balghas dans les souks, elles n'ont pratiquement plus rien à voir avec la balgha tunisienne, le fameux chausson de cuir qui fit la renommée de cette confrérie née au XIIIe siècle, dès l'époque hafside. Au vu de ce constat, et après un état des lieux quelque peu attristant, les équipes de l'ASM, soutenues par l'ambassade de Suisse, ont décidé de lancer une opération sauvetage de la balgha. Une étude a été lancée dans le cadre de Medetna, «réseau culturel méditerranéen pour la promotion de la créativité dans les arts, l'artisanat et le design pour la régénération urbaine dans les centres historiques», a été réalisée, permettant de cerner les problèmes, de définir les lieux de production, de recenser les intervenants, de dresser une cartographie du produit, et de proposer des solutions. Une enquête quasi policière permit de retrouver un des derniers maîtres balghagis, qui maîtrisait encore les subtilités des différentes étapes de fabrication du fameux chausson de cuir. Maître Taieb Fitouri a 70 ans et des poussières. Bon pied, bon œil, le geste sûr et précis, il raconte son histoire et celle de la balgha. Né à Bab El-Fella, fils et petit-fils de balghagi, il a commencé son métier en tant qu'apprenti, puis compagnon, et est passé maâllem quand il a réalisé sa première balgha. Il est aujourd'hui artisan et commerçant dans le souk des blaghgias, et a transmis son savoir à son fils. 1.000 et 1 balghas La balgha, en fait, si elle n'a ni masculin ni féminin, et si elle n'est ni de droite ni de gauche, se décline cependant en plusieurs versions. On les nomme Maroquin, Beskri, Rihiya, Bachmaq, Rihiya de l'imam, Kountra. Si l'on s'en tient à sa définition générique, la balgha est une chaussure traditionnelle faite exclusivement en cuir, fabriquée sur un moule, sans talon, et sans distinction aucune entre le pied droit et le pied gauche, et sans différenciation de forme entre le pied masculin et le pied féminin. On utilise le cuir de chèvre pour la tige, celui du mouton pour les doublures, celui du bœuf ou du dromadaire pour la semelle. La couture, et hélas, rares ceux qui cousent, les autres se contentant de coller, la couture donc exige du fil de chanvre, cependant que l'ornementation, et l'équipe de l'ASM a retrouvé la dernière des brodeuses, se fait de fils de laine ou de soie. Chaque chausson est constitué de trois pièces de cuir, la semelle, l'empeigne et le renfort, découpés, cousues les unes aux autres, puis doublées. Le moule est également un élément important, pièce maîtresse dans le processus de fabrication de la balgha. Jadis en bois d'olivier sculpté, il est de plus en plus souvent remplacé par des moules à chaussures italiens en eucalyptus, ou des moules industriels en résine. Ce qui influe certainement sur la forme de cette chaussure traditionnelle. Renaissance de la balgha Autour de maître Fitouri, on réunit une dizaine de jeunes artisans qui souhaitaient reprendre le flambeau. Avec eux, cinq designers ont travaillé sur de nouvelles formes et de nouvelles lignes de la balgha. A partir de techniques traditionnelles et d'un savoir-faire immémorial, une nouvelle collection de quelque soixante modèles a été créée, et sera exposée le 5 décembre prochain dans le souk des blaghgias. Une journée sera consacrée à la balgha, rencontre à Dar Lasram, au cours de laquelle seront présentés l'état actuel des lieux, l'historique et le potentiel du produit. Elle sera suivie d'une visite guidée dans le souk.