Place à la réinstauration des centres d'accueil et d'hébergement des femmes victimes de violence et à la mise en œuvre des lignes d'orientation et d'écoute. L'Union nationale de la femme tunisienne (Unft) a organisé, vendredi dernier, une journée portes ouvertes, destinée à apporter aux femmes victimes de violence des consultations à caractère juridique et social. Cette action s'inscrit dans le cadre de la célébration de la Journée mondiale de lutte contre la violence à l'égard du genre. La violence perpétrée sur la femme constitue un phénomène de société qui prend de l'ampleur. Il prolifère car nourri par le manque de connaissance des multiples formes de violence infligés aux femmes tant dans son milieu familial que dans les espaces publics. Il revient aussi aux tensions conjugales et à la domination de l'homme via la force physique, morale mais aussi à travers son statut de partenaire imposant par rapport à la femme qui continue, elle, d'endosser le statut de partenaire subordonné. L'événement a été assuré par des femmes investies dans le tissu associatif et convaincues de l'indispensable lutte contre cette injustice et cette offense à l'égard du genre. Me Hajer Graïed, avocate, s'est portée volontaire pour des consultations d'ordre juridique. «Le phénomène de la violence évolue à un rythme inquiétant. Selon l'étude réalisée en 2010 par l'Office national de la famille et de la population (Onfp ) sur la question, 47,6% des femmes enquêtées, âgées entre 18 et 64 ans, avouent avoir été victimes, au moins une fois, d'un acte de violence. Dans le sud-ouest, 74% des femmes sont victimes de violence, ce qui est effarant», souligne l'avocate. Et d'ajouter qu'entre 2012 et 2013, le nombre d'hommes ayant été jugés, au niveau des tribunaux de première instance, pour actes de violence extrême sur des femmes, est de 551. Il s'élève à 1.426 au niveau des tribunaux de circonscription. Pour l'avocate, en tant que femme de loi mais aussi en tant que femme tout court, informer le public sur les différentes formes de violence et sensibiliser, les hommes tout comme les femmes, sur les répercussions de ce comportement abusif, s'impose. Les défaillances à combler Aussi, a-t-elle participé à la journée portes ouvertes dans l'optique d'informer les femmes sur les procédures indispensables aux éventuelles plaintes. «Porter plainte contre les acteurs de violence représente un pas considérable dans la lutte contre la violence à l'égard du genre. Dans notre pays, les procédures comportent plusieurs défaillances auxquelles il faut remédier. D'abord, les agents de police ne sont pas habilités, sur le plan psychologique, à traiter et à accueillir les femmes victimes de violence. Certains, même, chercheront à banaliser ce comportement et à persuader la femme de se résigner et d'accepter cette atteinte à sa dignité au nom de la vie conjugale », indique-t-elle. Elle dénonce la lenteur des procédures depuis la déposition de la plainte jusqu'à la décision de la Cour. En effet, le jugement peut être énoncé une année après la déposition de la plainte ; un délai suffisamment important pour permettre au mari-agresseur de perpétuer la violence à l'égard de son épouse. Me Graïed cite comme exemple à suivre la législation française qui, sur demande de la victime, peut interdire à l'agresseur de demeurer dans le foyer conjugal afin d'éviter que d'autres actes ne soient commis et protéger ainsi la femme jusqu'à la prononciation du jugement. «Nous aspirons à ce que la loi tunisienne puisse s'inspirer de la loi française et protéger ainsi la femme contre son agresseur», souligne-t-elle. La conseillère juridique attire l'attention, non sans déception, sur le sensible recul qui marque la lutte contre la violence à l'égard du genre en Tunisie. «Avant, les femmes victimes de violence disposaient de plusieurs centres d'accueil leur assurant une protection provisoire contre l'agresseur. Ce n'est plus le cas de nos jours. D'ailleurs, poursuit-elle, il a été procédé, il y a quelques années, à l'inauguration d'un centre d'hébergement qui n'a toujours pas ouvert ses portes». Elle souligne aussi que les lignes d'écoute et d'orientation en faveur des femmes victimes de violence, mises en place par le ministère des Affaires de la femme et de la famille, ne sont plus opérationnelles. Des lacunes à combler afin de pouvoir aller de l'avant dans ce combat. Des agresseurs avisés et rusés Mme Faten Jebali est assistante sociale à l'Unft. C'est elle qui reçoit les femmes victimes de violence dans leur état le plus désolant. Certaines passent des heures à pleurer en sanglots, avant de reprendre leurs forces et de se décider à parler. Elles se déplacent jusqu'au centre d'écoute et d'orientation dans l'espoir de trouver une oreille attentive et une orientation à même de les faire sortir du labyrinthe infernal de la violence. «Les femmes victimes de violence physique, qui affluent à l'Unft sont, pour la plupart, des mères de familles, âgées entre 30 et 60 ans. Pour les plus jeunes, elles sont plutôt victimes de violence sexuelle, notamment de viol, d'harcèlement sexuel ou encore de manipulation», indique-t-elle. Mme Jebali sait, au fur et à mesure des séances d'écoute qu'elle assure au profit des femmes, que l'agresseur devient plus avisé et plus rusé. Certaines femmes déclarent recevoir souvent des coups sur la tête dont les traces restent cachées sous leurs chevelures. D'autres déclarent être humiliées, maltraitées et soumises à des sévices perpétrés par l'homme pour avoir refusé de se soumettre à des pratiques sexuelles pathologiques ou immorales comme la sodomie. Certaines femmes sont, souvent, séquestrées des semaines durant, dans l'attente que les traces violacées disparaissent de leurs corps et afin qu'elles ne portent pas plainte, des bleus sur le corps, à l'appui. L'assistante sociale indique que certaines femmes viennent accompagnées de leurs enfants dont l'âge ne dépasse pas les cinq ans ; des enfants aux cœurs brisés, tellement ils ont vu d'atrocités opérées sur leurs mamans...