Par Khaled TEBOURBI Mekdad Esshili a tranché ferme («El Hiwar», dimanche 29) à propos d'Islam radical et de terrorisme. Pour lui, si nous en souffrons, «c'est d'inculture généralisée». L'idée s'érode un peu ces derniers temps. Ressassée par tous et partout. De plus, le problème est structurel et complexe, hérité des années noires de Ben Ali et, plus ou moins, des errements de la «Troika». Il se traite sur le long terme, pas «en un tour de mot». Maintenant, c'est le président du syndicat du secteur de la musique qui s'adressait à nous. Syndicat influent, personnage écouté. Et la musique (on en parlait dans une récente chronique) est l'Art qui pâtit le plus de recul culturel, voire d'acculturation. On ne sait si cela entre dans les attributions statutaires du «naquib», mais c'est de ces questions-là que l'on eût aimé qu'on nous entretint. «Ne méprisez pas la mauvaise musique (entendre la chanson) — disait Marcel Proust — c'est celle qui exprime le mieux la vie sentimentale des peuples». La chanson dans nos contrées fit mieux, beaucoup mieux. A ses meilleures époques, elle incarna la musique dans son absolue complétude. Elle était savoir, elle était émotion et beauté. Elle contenait les genres et les modes. Elle était inspiration et instinct. Elle était recherche et élaboration. Dans l'Egypte de Sayyed Derwish, elle fut, tour à tour, passionnelle, enjouée, ricanante et résistante. Avec Abdelwahab, Kassobji et Soumbati, elle explora l'amour mystique et offrit ses arias les plus ardentes à «la patrie écorchée». Dans la Tunisie de Ouafi et Tarnan, puis de Riahi, Jamoussi et Jouini, puis de Saliha, Karabaka, Smadeh, Ben Jeddou et Loghmani, elle cumula sens et saveur sans jamais rien concéder. L'excellence était sa nature, et la culture son élan profond. Sa fusion. Remémorons bien : ce fut en partie grâce à cette musique, à ces chanteurs, à ces poètes, à ces musiciens, à cette chanson que nos mouvements nationaux ont pu, aussi, se renforcer. Ce fut, en partie, grâce à la hauteur et à la sincérité de leurs messages et de leurs sentiments que nos sociétés ont pu s'imprégner des principes d'humanité, d'ouverture et d'équilibre, et ambitionner, tôt, de rejoindre l'avant-garde des nations. Quoi de meilleure culture ce fut. Et comme on eût aimé comprendre comment et pourquoi cet «état de grâce» s'effrite, inexorablement, sous nos yeux. Notre bon ami Mekdad le sait parfaitement, lui. Il était là, quand les choses de la musique allaient encore pour le mieux. Et il était témoin, et protagoniste(entraîné dans la «mêlée») quand la chanson tunisienne, tout particulièrement, amorça sa longue phase de déclin. Il a choisi de généraliser. Déformation de «plateaux politiques». Attrait de l'audimat. Effets de candidature à la députation. Peut-être rien de tout cela ; peut-être tout cela à la fois. Il n'empêche : on aurait pu sonder tant de zones d'ombre, éclaircir tant et tant de points. Dévoiler, enfin, les tenants et les aboutissants de ce «fossé» qui se creuse entre la musique et la culture. Moult interrogations Pourquoi cette «dégringolade» de la chanson classique, ce genre complet et dominant qui incarnait toute la musique arabe ? Pourquoi cette perte subite, apparemment irréversible, en contenu et en qualité ? Pourquoi cette invasion, inarrêtable, de musiques bas de gamme et de médias commerçants ? Pourquoi ce rejet de toute réforme, de tout projet novateur, de toute possibilité d'aller de l'avant ? Pourquoi cette écoute collective, en majorité, portée sur les mélodies simplistes, les «textes» ineptes, les voix dissonantes, et les chanter-faux ? «La mauvaise musique» si célébrée par Proust n'a même plus bonne ouïe chez nous. Tout un chapitre, en plein dans les questions de culture et d'inculture, est resté en «vacance». On y reviendra, promis.