Le plus accablant et largement incompréhensible, c'est le doublement du nombre de jihadistes tunisiens partant en Syrie et en Irak en un an, en dépit de l'effort national soutenu La Tunisie maintient sa place de 1er pourvoyeur incontesté de combattants étrangers. Dans le top 5 des pays fournisseurs de jihadistes, la Tunisie caracole en première position avec 6.000 individus. Il s'agit là d'évaluation actualisée par Soufan Group, publiée la semaine dernière. Le rapport fait état du nombre de tous les cétrangers en Syrie et en Irak. Basé à New York, The Soufan Group (TSG) est un cabinet d'intelligence stratégique et de sécurité, l'un des plus fiables au monde en matière de renseignements, il traite avec les gouvernements et les grandes multinationales, ses bureaux régionaux sont à Londres, Doha et Singapour. Le plus accablant dans ce rapport et largement incompréhensible, c'est le doublement du nombre de jihadistes tunisiens partant en Syrie et en Irak en un an, en dépit de l'effort national soutenu. Les Tunisiens en 2014 étaient évalués à 3.000, ils sont désormais 6.000, voire davantage. En deuxième position, et comme le montre le tableau, arrivent les Saoudiens avec 2.500 jihadistes, on aurait presque envie d'ajouter, seulement. La Turquie voisine est également un important fournisseur de combattants. Quant aux Tunisiens morts et identifiés, TSG avance le chiffre de 625. En juin 2014, le rapport annonce avoir identifié environ 12.000 combattants étrangers de 81 pays. Seize mois plus tard, leur nombre a plus que doublé à Daech. En se basant sur sa propre enquête, le Groupe Soufan a calculé qu'entre 27 mille et 31 mille personnes provenant d'au moins 86 pays ont voyagé en Syrie et en Irak pour rejoindre l'EI et d'autres groupes extrémistes violents. Les rapatriés, ces bombes à retardement Cette augmentation du nombre de jihadistes est la preuve pour la Tunisie, tout autant que pour les autres pays, que les efforts déployés pour contenir le flux de recrues étrangères ont un impact très limité. Quoique, nuance, la plupart des pays ou régions soient arrivés plus ou moins à contenir la progression des départs de leurs propres ressortissants, pas la Tunisie. Autre piste de recherche, c'est le but poussant des personnes à se joindre aux groupes violents en Syrie et en Irak. Il en ressort que les motivations personnelles dépassent largement celles politiques ou religieuses. La majorité de ces auto-exilés sont plus à la recherche d'un nouveau commencement, d'un groupe d'appartenance, d'une reconnaissance. Pour autant qu'on puisse en juger, la grande majorité des recrues de Daech continuent à aller en Syrie avec l'intention d'y agir plutôt que pour devenir « des terroristes domestiques ». Les attentats de Paris, analyse le rapport, reflètent une tendance croissante à planifier à partir de la Syrie des attentats à l'étranger. Quant aux rapatriés, ils sont évalués à environ 20 à 30% dans les pays occidentaux. Ils présentent un défi pour la sécurité des pays d'origine ainsi que pour la justice et la sécurité. Les menaces qu'ils représentent y sont évaluées au cas par cas. Il faut reconnaître qu'à ce jour, les autorités tunisiennes ne semblent pas avoir étudié la question des « rapatriés » avec autant de précision et d'expertise. Assignés à résidence dans leur écrasante majorité, peu de « retournés » sont traduits en justice. Bien que des preuves anecdotiques suggèrent qu'il est devenu très difficile, parfois impossible, de quitter les territoires contrôlés par Daech, sous peine de s'exposer à des sanctions cruelles, voire la décapitation pure et simple. Force est de reconnaître que le nombre de combattants qui retournent dans leur pays d'origine a augmenté. Les motivations peuvent varier autant que les intentions pour y adhérer ; certains en auraient eu assez de la violence, certains peut-être sont déçus par l'EI et ses dirigeants, et d'autres peuvent avoir tout simplement décidé de poursuivre leurs objectifs ailleurs. Là encore, sait-on pour quelles raisons nos ressortissants décident de rentrer au pays ? Les informations restent succinctes. Origine des armes, chronologie Qui a fait de Daech ce qu'il est devenu, un « Etat » en apparence bien organisé qui administre la vie de la cité et dispose d'un arsenal de guerre en bonne et due forme ? Amnesty International, qui a requis l'aide d'experts en armements lesquels ont analysé des milliers d'images et de documents, préconise que le groupe terroriste dispose d'un arsenal d'armes et de munitions conçues et fabriquées dans plus de 25 pays, et récupérées principalement à partir de l'Irak. Toujours selon Amnesty, la guerre Iran-Irak, entre 1980 et 1988, reste dans l'histoire « un moment majeur pour le développement du marché global d'armes modernes ». Trente-quatre pays ont fourni des armes à l'Irak, dont 29 en ont fourni également à l'Iran. La France a été, pour rappel, le deuxième fournisseur d'armes de l'Irak, à l'époque. Avec l'invasion américaine, l'armée irakienne est dissoute et ses 300 mille hommes et leurs armes dispersés à travers le pays. Les Etats-Unis arrivent avec un approvisionnement qui n'est ni contrôlé ni sécurisé. Amnesty estime à 650 mille tonnes les stocks de munitions présents sur le territoire irakien. En 2011, les Etats-Unis se retirent d'Irak. Jusqu'en 2013, des contrats seront signés avec les autorités irakiennes de plusieurs milliards de dollars. « Des chars de combat de type 140 M1A1 Abrams, des avions de combat F-16, des missiles sol-air portables (681 Stinger) et des batteries antiaériennes Hawk ». Pourvu de la manne intarissable du pétrole, Bagdad fait son marché en Chine et dans une trentaine d'Etats qui acceptent de vendre malgré la fragilité connue des forces armées irakiennes incapables, de fait, à protéger cet arsenal. En 2014, l'EI s'empare de plusieurs bases militaires stratégiques en Irak, des stocks non sécurisés qui constituent aujourd'hui une réserve internationale pouvant équiper jusqu'à 40 mille jihadistes. Cet arsenal regroupe des armes légères américaines, chinoises, russes, tchèques, belges, des chars et des blindés russes, chinois et américains. Pour l'ONG, « la quantité et la variété des stocks d'armes et de munitions détenues par Daech témoignent de décennies de transferts irresponsables d'armes vers l'Irak et de l'incapacité persistante de l'administration d'occupation dirigée par les Etats-Unis à gérer de façon sécurisée les livraisons d'armes et les stocks ». Amnesty dénonce au passage la corruption endémique en Irak. Après le réveil de l'Occident avec la gueule de bois suite aux attentats de Paris, les ministres des Finances de l'UE ont décidé d'harmoniser leurs services de renseignements financiers pour traquer les flux d'argent destinés à Daech, fournis principalement par les revenus pétroliers. Ce qui nous amène à conclure que si les grandes puissances décidaient réellement de combattre les groupes terroristes, elles devraient commencer par assécher les sources de financement. La Tunisie est, toutes proportions gardées, dans le même cas de figure, avec comme cible non pas une clientèle illicite de pétrole mais les associations « frauduleuses » et les barons de la contrebande. Il est clair et prouvé que nous sommes, nous Tunisiens, un dommage collatéral d'un vaste plan globalisé dont on ne connait pas l'issue, ceci ne veut nullement signifier que l'on doit se croiser les bras et regarder notre destin se jouer ailleurs.