Toumadher Allouche, une bachelière brillante, a enflammé les réseaux sociaux avec un témoignage poignant publié dimanche 23 juin 2025. Un récit douloureux dans lequel elle revient sur son parcours au sein du lycée pilote de Sfax. Intitulé « Lycée des élites : un calvaire sous silence », son texte donne la parole là où tant d'autres préfèrent se taire. Dans ce long message publié après l'obtention de son baccalauréat, l'élève ne célèbre pas sa réussite. Elle décide au contraire de dévoiler l'envers du décor de ce qui est souvent présenté comme un modèle d'excellence. Et ce qu'elle révèle est glaçant.
Toumadher Allouche raconte comment, après avoir obtenu le premier rang national en 6e année et le premier rang régional en 9e année, elle a intégré le lycée pilote avec l'espoir de poursuivre un parcours d'exception. Elle pensait y trouver un cadre stimulant, bienveillant, à la hauteur de ses efforts. Elle y a trouvé l'oppression, le mépris et la manipulation selon ses dires. Elle revient notamment sur les propos démoralisants d'un enseignant qui, en 3e année, lui aurait asséné cette phrase assassine : « Ne vise pas trop, ma fille ». Une manière de lui dire, dès le début de l'année, de revoir ses ambitions à la baisse. Plus tard, le même enseignant lui aurait lancé : « C'est toi qui as choisi la section mathématiques ou on t'a obligée ? », comme si ses choix ne pouvaient être les siens. Et enfin, la phrase la plus violente selon elle : « Je ne comprends pas comment tu as pu être première, je ne vois rien d'exceptionnel ». Toumadher affirme que cette dernière remarque a été la plus blessante, la plus humiliante. Elle y voit le symbole amer d'une pédagogie déshumanisante dans un établissement dit d'élite. Une école où l'on nie à une élève brillante jusqu'à sa légitimité d'être là. « Il méprise certains élèves de manière subtile mais constante, comme si seuls les génies méritaient son attention et son respect. Les autres, à ses yeux, ne sont que des bêtes, indignes d'intérêt simplement parce qu'ils ne répondent pas à ses standards arbitraires », écrit-elle encore.
Et ce n'était que le début. Elle explique que les notes ne dépendaient pas du travail fourni, mais de la proximité avec les enseignants. Que pour éviter les mauvaises surprises, il valait mieux s'inscrire à des cours particuliers… dispensés par ces mêmes professeurs. Elle dit avoir vu ses notes de travaux pratiques chuter sans explication, elle qui n'avait jamais eu moins de 17 les années précédentes. Elle dénonce aussi des devoirs donnés à la va-vite, sans correction ni retour, avec des notes arbitraires, comme ce 13 qu'elle a reçu, convaincue que l'enseignant n'a ni corrigé sa copie, ni attribué une note juste. Elle évoque également une enseignante qui, malgré des heures supplémentaires payées, l'ignorait en plein cours pour privilégier l'élève qu'elle considérait comme un « génie ». Elle raconte qu'un membre de l'administration est resté sourd à sa détresse lorsqu'elle a tenté de signaler son mal-être. Elle dit avoir vu l'arrogance institutionnalisée, les « grands noms » manipuler les notes, modifier les classements… tandis que d'autres, comme elle, étaient broyés dans l'indifférence.
Toumadher Allouche ne se contente pas de dénoncer des comportements individuels. Elle met en lumière un système malade, où l'image prime sur la mission, où l'autorité pédagogique vire à l'abus de pouvoir, où l'élève n'est plus accompagné, mais trié, noté, éliminé. Elle comprend qu'au sein de ce lycée, il ne suffisait pas d'être une bonne élève. Il fallait aussi se taire, se conformer, rentrer dans le moule ou se perdre. Et pourtant, malgré tout, elle a tenu. Grâce à quelques enseignants humains, investis, qui ont représenté pour elle des lumières dans l'obscurité. Mais elle en est sortie meurtrie. Elle l'écrit avec une honnêteté rare : « Mais, lycée… Si tu savais, si tu savais combien je suis sortie meurtrie de ces années passées entre tes murs. Vous m'avez volé ma confiance. Vous avez écrasé mes rêves et terni mes ambitions ». Elle poursuit : « Vous m'avez transformée, non pas en une version plus forte de moi-même, mais en quelqu'un qui a dû se reconstruire loin de vous, malgré vous ».
Un constat douloureux, émanant d'une jeune personne, qui au lieu de célébrer sa réussite, livre le récit d'une descente aux enfers dans un lycée censé incarner l'excellence. Son témoignage, massivement relayé par les internautes, a suscité une vague d'indignation et de solidarité. Beaucoup y ont vu la confirmation de dérives profondes dans le système éducatif tunisien et ont appelé à une réforme en profondeur. Ce témoignage n'est pas une vengeance, comme le confirme la jeune Toumadher. C'est une mise en lumière nécessaire. Car il faut oser le dire : il y a quelque chose de profondément injuste dans un système où l'on déclare à une élève classée première d'une région entière : « Je ne vois rien d'exceptionnel ». Quelque chose de malsain dans un environnement qui détruit au lieu de construire, qui sélectionne sans encadrer, qui méprise au lieu d'élever. Le message de l'élève après sa réussite aurait dû être une célébration. Il est devenu une alerte. Et si notre système éducatif a encore une chance de se réformer, ce sera en partie grâce à des voix comme la sienne. Des voix blessées mais lucides. Des voix qu'on ne peut plus ignorer. Des voix qu'on doit entendre.