Par Amor NEKHILI On annonce pour aujourd'hui la signature à Tunis d'un accord entre les participants du dialogue politique libyen, lesquels ont décidé de faire du 16 décembre une date-butoir. Mais pour en arriver là, que de temps perdu et d'efforts anéantis, du fait du désastre diplomatique sans précédent causé par Bernardino Leon, l'ex-chef de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul). Et ce qui va suivre en montre l'ampleur. Un e-mail, intercepté par le très sérieux journal électronique Middle East Eye, semble indiquer que le diplomate espagnol travaillait secrètement avec les Emirats arabes unis en apportant son soutien à l'une des parties impliquées dans la guerre civile en Libye tout en œuvrant en tant qu'émissaire de l'ONU chargé de trouver une issue au conflit qui ravage le pays. Selon Middle East Eye, Bernardino Leon a envoyé, le 31 décembre 2014, un e-mail à Abdullah Ben Zayed Al-Nahyan, ministre des Affaires étrangères des Emirats arabes unis, par le biais d'un réseau émirati pour des questions de sécurité, dans lequel il explique clairement avoir travaillé au nom d'Abou Dhabi dans le cadre de son poste de médiateur de l'ONU. Dans son e-mail, l'envoyé de l'ONU fait, à plusieurs reprises, référence à de précédentes conversations avec Abdullah Ben Zayed et donne des informations sur ses projets, en mettant en avant les avantages que ces derniers apporteraient aux Emirats arabes unis. A un moment, il explique que «l'ONU ne représente pas, à ce jour, un obstacle aux intérêts du pays dont nous avons parlé (le pays en question étant les Emirats arabes unis), mais de toute évidence, il m'est impossible de connaître la tournure que prendront les choses à l'avenir». Le Guardian de Londres a publié, le 4 novembre dernier, l'e-mail, divulgué au grand public, sous le titre "Un Libya envoy accepts £1,000-a-day job from backer of one side in civil war", (L'envoyé spécial de l'ONU en Libye accepte de travailler pour £ 1,000 par jour pour le compte de bailleur de fonds d'une partie impliquée dans la guerre civile) ainsi qu'un article mentionnant que Bernardino Leon occupera, dès ce mois-ci, un nouveau poste pour lequel il sera rémunéré 35.000 £ par mois en tant que directeur de l'Académie diplomatique émiratie. Après avoir été contacté par Middle East Eye, un porte-parole de l'ONU a refusé de répondre lorsqu'il lui a été demandé si le secrétaire général Ban Ki-moon avait connaissance des échanges de Bernardino León avec les Emirats arabes unis. Rappelons quand même au secrétaire général de l'ONU que Bernardino Leon préparait déjà son installation à Abu Dhabi depuis août dernier, et il a dit qu'il se rendrait avec sa famille pour s'y installer. Bernardino Léon a écrit à Sultan Al-Jaber, dans un courriel daté du 6 septembre et fourni au New York Times : «Je pars aujourd'hui pour 24 heures à Abu Dhabi». Alors quoi? Le patron de l'ONU ignorait tout des déplacements de son Envoyé spécial ?... Bizarre, sachant que tout haut fonctionnaire, surtout de ce niveau-là, doit avoir l'aval du secrétariat et du département des affaires politiques pour chaque mouvement qu'il fait. «La seule chose que je puisse dire, renchérit un porte-parole de l'ONU, est que «le secrétaire général est sensible au travail de M. León et les progrès réalisés quant au processus de paix sont éloquents». Eloquents? Mais alors pourquoi Ban Ki-moon s'était-il empressé de le virer et de le remplacer par le diplomate allemand, Martin Kobler, qui occupait jusque-là le poste de chef de la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo (Monusco). «C'est quelqu'un d'extrêmement compétent, reconnaît Mattia Toaldo, chargé de recherche pour le programme sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord du Conseil européen des relations étrangères». Mais il devra sans doute recommencer le travail à zéro. Aujourd'hui, la méfiance envers tout ce qui s'apparente à un médiateur étranger — qui était déjà bien installée — risque d'être difficile à surmonter», précise-t-il. Il est vrai qu'à travers cette affaire Leon, l'impartialité de l'ONU en Libye est mise en cause, et qu'elle n'a surtout pas dissipé l'embarras des protagonistes du dossier libyen. Lesquels acteurs de ce dossier savent aussi qu'il ne peut y avoir d'accord en dehors du cadre de l'ONU. «Aucune tentative de faire dérailler le processus de paix parrainé par l'ONU en Libye ne réussira», ont prévenu les représentants des grandes puissances après une initiative libyenne négociée sans les Nations unies. «Je ne me fais aucune illusion sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés en Libye. Les deux institutions au centre du conflit politique en Libye commencent à montrer des signes dangereux de fragmentation interne», a dit M. Kobler, vendredi dernier, lors d'un exposé devant les membres du Conseil de sécurité. «Face à l'incapacité de la Chambre des représentants et du Congrès national général à arriver à une approbation formelle des conclusions du dialogue politique libyen, j'ai organisé une nouvelle session du dialogue politique libyen pour discuter comment faire avancer les choses », a-t-il ajouté. Pour Martin Kobler, «il n'y a pas de temps à perdre, la Libye fait face à un chaos sécuritaire sans précédent avec l'ancrage de Daech. Il faut vite mettre en place un gouvernement d'union nationale pour faire face à ce défi». L'ONU n'en a pas fini avec la crise libyenne. A.N.