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Les immigrés du monde digital
Le mensuel de La Presse - Année internationale de la jeunesse
Publié dans La Presse de Tunisie le 14 - 08 - 2010

Internet, ce sont, d'abord, les jeunes qui se l'approprient et le popularisent. Leur rôle d'utilisateurs de la première heure nous montre la voie des usages futurs. Ils nous montrent aussi que la technologie importe peu, surtout si elle sait se faire simple et peu intrusive. Ce qu'ils aiment avant tout‑: les réseaux sociaux et tous leurs outils.
Cela traduit une rupture générationnelle, mais surtout des ruptures d'usages.
Internet, lieu social de la jeunesse
L'internet, parce qu'il permet de créer des liens, est un très puissant outil de réseau social. Les jeunes en sont friands et un premier éclairage s'impose. Car c'est d'emblée vers les relations amicales que se sont créés les premiers sites de réseaux sociaux : le site d'anciens camarades de classes Trombi.com dès 1995, puis le site d'amis Friendster en 2002. Ils permettent aux jeunes de rester en contact avec leurs amis en ligne et de faire de nouvelles connaissances. Mais c'est MySpace, le site permettant aux jeunes de créer en ligne un espace personnel à leur image et de partager leurs passions avec leurs amis, qui a popularisé le système et connu le premier un succès de grande ampleur. Facebook, à l'origine simple trombinoscope électronique pour étudiants d'universités, s'est largement ouvert fin 2006 et connaît lui aussi un grand succès. Dans le monde professionnel, LinkedIn est le plus connu. Ce site permet de publier en détail son profil professionnel et d'entrer en relation avec des collègues, des amis, mais aussi de se créer un réseau professionnel, pour chercher un emploi, recruter ou monter un projet. A cet égard, MySpace est un site emblématique. Il est élaboré par les jeunes et pour les jeunes. Les adultes ont, parfois, du mal à le comprendre. Si la technologie n'a rien d'exceptionnel, son usage est propre à bouleverser les modes de développement personnel et de rapports sociaux des nouvelles générations. Très prisé par les jeunes, qu'il séduit en leur offrant un espace inégalé d'expression libre, MySpace est un des sites les plus visités au monde, en compétition directe avec les leaders de l'internet : Yahoo, Google et MSN.
Lancé par des passionnés de musique indépendante de Los Angeles, MySpace compte, fin 2007, plus de 100 millions de comptes. En février 2006, il a reçu 35 millions de visiteurs qui ont vu 22 milliards de pages. En 2008, il gagne 300000 nouveaux inscrits chaque jour. L'usager moyen regarde 500 pages par mois et 37 pages par visite.
Un flux considérable qui n'a pas échappé à l'attention de Rupert Murdoch, le magnat des médias, qui a acheté le site pour 580 millions de dollars en juillet 2005. Depuis, ses revenus publicitaires doublent tous les six mois. Beaucoup de jeunes s'identifient très tôt avec MySpace. Originellement fixé à 18 ans, l'âge limite est passé à 16 ans puis à 14 ans. La première chose que fait un nouveau membre de MySpace est de créer un «profil». Sur cette page personnalisée, il fait part à la communauté de ses goûts, de ses envies, des musiciens qu'il adore, des livres qu'il a lus (ou qu'il aimerait lire), des membres de MySpace qu'il connaît (avec des liens renvoyant à leurs pages). Clips, vidéos, musique et photos rendent le tout sympa… ou «cool». Les profils sont comme des personnes digitales. Ils sont la représentation numérique publique de l'identité. Pour les jeunes, donner une image cool de soi-même est fondamental. MySpace leur permet de décrire leur propre identité à travers ces pages personnelles incroyables. Et, ce faisant, cela leur permet de montrer une image d'eux- mêmes et de recueillir des réactions. Ils définissent virtuellement leur image par petites touches et ajustent en fonction des réactions de leurs copains.
Il en résulte souvent une atmosphère spéciale qu'on ne peut sentir qu'en visitant les pages en question avec leurs collages sur fond le plus souvent sombre de photos, clips, vidéos, images et textes pas toujours faciles à lire. Ça ressemble à une chambre d'adolescent, en référence à une forme plus traditionnelle de recherche et d'affirmation d'identité. Les commentaires laissés par les visiteurs transforment le site en un espace public virtuel. C'est, avec la production d'identité, l'autre notion clé.
Ce n'est pas la technologie qui pousse les jeunes à passer du temps connecté, c'est le manque de mobilité et d'accès à un espace réel et physique pour les jeunes où ils peuvent être ensemble sans être interrompus et observés. L'absence d'espaces publics où se retrouver entre copains est une des caractéristiques de la situation de la jeunesse du monde d'aujourd'hui. MySpace offre une alternative. A la différence de certains de ses prédécesseurs (Friendster notamment), MySpace a choisi de laisser les jeunes fixer les règles, définir la culture. C'est bien pour cela qu'ils aiment s'y retrouver. L'enjeu pour les jeunes: trouver des espaces publics d'expression libre avec leurs amis, indispensables à leur développement. Ces espaces sont de moins en moins existants dans le monde réel des jeunes du monde. Alors, ils se digitalisent. Ils créent des espaces où se jouera une bonne partie du futur de l'internet.
Internet, outil puissant de socialisation
De nombreuses études permettent d'appréhender, de façon quantitative, les usages des jeunes à travers le monde. L'institut américain Pew Internet Research est un des organismes qui fournit, de façon la plus régulière, la matière la plus abondante sur les Etats-Unis. Pour l'Europe, les données sont plus dispersées, alors que les études sur l'Afrique et l'Asie sont plus difficilement accessibles. Ces études permettent de mettre en avant quelques divergences, mais surtout des similarités et des grandes tendances. Quel que soit le moyen d'accès, les usages semblent converger : ce que les jeunes cherchent avec l'internet, c'est un outil puissant de socialisation.
Pour les jeunes Américains
Ils vivent «enveloppés» dans les nouvelles technologies. L'internet rythme leur vie quotidienne. D'après le Pew Internet Research, le nombre de jeunes utilisant l'internet a augmenté aux Etats-Unis de 24 % entre 2003 et 2006. Quatre-vingt treize pour cent des 12-17 ans sont connectés, soit 21 millions de jeunes. Les jeunes Américains privilégient avant tout les réseaux sociaux, comme le montrent les résultats d'une étude réalisée en 2006 sur des jeunes Américains de 12 à 17 ans par le Pew Internet Research : 55 % des jeunes Américains utilisent les réseaux sociaux. Les jeunes filles de 15 à 17 ans sont les plus nombreuses (70% contre 54% pour les garçons). Plus d'un sur deux s'y rendent quotidiennement. 55% des jeunes ont un «profil» (70% des filles). Seuls 31% d'entre eux le rendent public, alors que les autres en restreignent l'accès à leurs amis. 91% d'entre eux le font pour rester en contact avec des amis proches, 82% pour rester en contact avec des amis éloignés, 72% pour organiser des soirées, 49% pour se faire de nouveaux amis. Le rôle dominant tenu par les réseaux sociaux est à la fois celui de ciment et d'outil quotidien de la relation amicale. Leur activités préférées consistent à laisser des commentaires sur les pages de leurs copains (84%) et sur leurs blogs (76%), s'envoyer des messages privés (82%) ou de groupes (61%).
Pour les jeunes Européens
Une enquête NetObserver menée sur cinq pays par l'institut d'études Novatris/Harris Interactive nous donne des clés très similaires aux analyses que nous trouvons aux Etats-Unis. En y ajoutant une dimension comparative intéressante, puisque l'étude introduit des données sur les plus de 25 ans : la majorité des jeunes internautes européens se connectent à Internet plusieurs fois par jour, 46% des Allemands de 15-24 ans passent plus de 3 heures en ligne chaque jour, devant les Italiens (36%), les Britanniques (32%), les Français (27%). La différence avec la tranche d'âge immédiatement supérieure est significative. En Grande-Bretagne, par exemple, à peine 20% des plus de 25 ans se connectent trois heures par jour. Les 15-24 ans utilisent plus que leurs aînés les outils de communication disponibles sur le Net, à commencer par la messagerie instantanée (80 % des jeunes Espagnoles y ont recours régulièrement, 75% des Français, 69% des Italiens et 59% des Allemands qui sont de plus gros utilisateurs de chats que leurs pairs). La principale activité de la plupart des jeunes Européens consiste à consulter des blogs ou des sites communautaires. Les plus férus dans ce domaine sont les jeunes Français (46%), qui sont aussi les plus nombreux à déposer des commentaires. Viennent, ensuite, les Italiens (41%) et les Allemands (40%). Ces derniers, là encore, se distinguent de leurs homologues européens par un engouement spécifique pour les jeux vidéo en ligne (49%). Enfin, les Espagnols affichent un intérêt particulier pour le développement de leur espace personnel (30%), que celui-ci soit une page personnelle ou un blog.
Pour les jeunes Tunisiens
Dans une étude portant sur les «grandes tendances d'évolution des valeurs, modes de vie et consommation des ménages en Tunisie», Sigma Conseil (bureau leader dans les études marketing et médias, son champs d'action s'étend à l'ensemble des pays de l'Afrique du Nord : Tunisie, Algérie, Maroc, Egypte et Libye, mais aussi en France et dans les pays subsahariens francophones) revient sur les usages que les jeunes Tunisiens font d'Internet et ce qu'ils en attendent. D'abord, il convient de préciser que, dans l'ordonnancement de la journée des jeunes Tunisiens, Internet n'occupe que la troisième place après les études et la fréquentation des salons de thé et des cafés avec les amis. Pour la majorité d'entre eux, il s'agit d'un moyen de divertissement à la maison. Ils l'utilisent, surtout, par ordre d'importance, pour télécharger des albums de musique, des films et des logiciels…, pour chatter (Skype, MSN…), pour naviguer sur les sites de rencontre (Badoo…) ou sur les sites communautaires (Facebook, Hi5) qui commencent à capter de plus en plus d'adeptes, notamment auprès des jeunes de classe moyenne supérieure et, en dernier ressort, pour consulter les sites d'achat. Cette activité est, cependant, encore très peu développée à cause des difficultés de payement en ligne, pas encore entré dans les habitudes des consommateurs tunisiens. Internet est aussi utilisé pour écouter de la radio dont ils consultent aussi les sites web et surtout leurs rubriques les plus populaires (chat, playlist, classement des meilleures chansons, forums…).
Cependant, la navigation sur Internet demeure encore relativement faible et, en particulier, dans les régions et, spécialement, parmi les jeunes de classe moyenne inférieure : les habitants des quartiers populaires ceinturant les grandes agglomérations.
Dans les régions intérieures, les principaux lieux de connexion à Internet sont, principalement, les cybercafés et les maisons des jeunes. Or, étant donné que les horaires de navigation chez cette catégorie de la population se situent, généralement, en début de soirée et pendant les week-ends, on comprend que le taux de navigation dans les régions intérieures soit beaucoup plus faible que dans les grandes villes où les connexions à Internet haut débit sont plus fréquentes dans les foyers. Une étude récente a permis de classer les usages des jeunes Tunisiens âgés de moins de 25 ans comme suit: 1-échanger/publier; 2-s'informer; 3-appeler; 4-télécharger; 5-envoyer des emails; 6-écouter la radio; 7- jouer en ligne; 8-visionner par streaming; 9-regarder la télévision; 10- apprendre; 11- chercher un emploi et 12-travailler.
Ce classement est d'autant plus intéressant à considérer qu'il démontre que les activités ludiques et de divertissement viennent aux premiers rangs des préoccupations des jeunes Tunisiens sur le web et que les activités plus «sérieuses» (apprendre, chercher un emploi ou travailler à distance) se situent au bas du classement. Ce constat étant fait, il ne faut peut-être pas en tirer des conclusions hâtives quant au degré d'implication des jeunes Tunisiens dans ce qui semble être le plus important au regard de la société (éducation, formation, travail), mais seulement constater que les jeunes Tunisiens, comme tous ceux de leur âge, continuent de considérer Internet, comme les autres moyens de communication de masse, comme un passe-temps, qui peut être utile, certes, mais qui, surtout, divertit et aide à s'évader et à se déconnecter de la réalité. Cette réalité qui, justement, n'offre pas, en termes d'éducation, de formation et de télétravail, de grandes possibilités, malgré tout ce dont on nous rabat les oreilles sur le niveau de développement de l'internet et des nouvelles technologies de l'information, en général, dans notre pays. Non, à l'évidence, dans ce domaine aussi, les Tunisiens, tous les Tunisiens et pas seulement les plus jeunes d'entre eux, ont encore beaucoup à faire pour atteindre les standards internationaux d'une utilisation optimale des immenses possibilités qu'offre l'internet.
Rupture de générations, rupture d'usages
L'expression «digital natives», les «autochtones du monde numérique» ou «ceux qui sont nés avec» est en train de rentrer dans le langage courant, un peu de la même façon que «to google» est devenu un verbe. Elle peut nous aider à mieux poser certaines questions concernant le futur de l'internet. L'expression a été lancée par le consultant et auteur spécialisé dans l'éducation et le savoir Marc Prensky, d'abord dans un article en 2001, puis reprise dans un essai écrit en 2004 sous le titre «The Death of Command and Control». Il l'oppose à la notion de digital immigrants, «les immigrés du monde digital», venus aux nouvelles technologies du web sur le tard. La différence la plus importante entre les deux générations étant, selon l'auteur, que les autochtones sont les «scribes» du nouveau monde, capables de créer les instruments dont ils se servent dans des langages que les autres ne comprennent pas. Et quand ils ne programment pas les instruments dont ils se servent, ils utilisent à leur façon ceux qui sont aujourd'hui sur le marché. La seconde dimension se révèle bien plus importante et répandue que la première. Prensky ne retient pas moins de dix-sept domaines dans lesquels les «natifs» agissent différemment de ceux qui sont arrivés dans le cyberspace à un âge plus avancé. Ils communiquent, échangent, créent, se rencontrent, coordonnent leurs activités, apprennent, analysent, évoluent et grandissent différemment. Leurs jeux ne sont plus les mêmes et leur façon d'écrire des logiciels n'est pas la même. Prenons quelques exemples‑: l'orthographe remaniée en un code incompréhensible par les adultes, les SMS inscrits d'une seule main dans la poche, les messageries instantanées avec dix fenêtres et dix dialogues simultanés. Les immigrants ont tendance à mener une conversation jusqu'à sa conclusion avant de passer à autre chose. Courants dans le monde des affaires, du journalisme et de la politique, les blogs d'immigrants sont un instrument de partage des connaissances intellectuelles. Par contraste, les blogs d'autochtones visent, avant tout, à partager des émotions. Il s'agit presque d'un média différent. Pour les autochtones, eBay ne sert pas seulement à acheter et vendre. Ils y trouvent emplois, amis et même partenaires amoureux ou sexuels.
Cela n'est plus un sujet d'émerveillement, mais une évidence de leur vie ordinaire. Leur rapport à l'information est différent. L'excès ne les préoccupe pas et, selon Prensky, «au contraire de leurs parents, qui adoraient garder leurs informations secrètes, les digital natives aiment partager et diffuser l'information dès qu'ils la reçoivent». Leur rapport au jeu, notamment vidéo, est aussi différent. Alors que les jeux vidéo les plus anciens étaient surtout individuels, linéaires (il fallait tuer le plus de monde possible pour arriver à un but facilement identifiable), les plus récents dépendent de la participation et de la coordination de dizaines, de centaines, voire de milliers de joueurs. «Le jeu solitaire est dépassé, une réminiscence du temps où les ordinateurs n'étaient pas encore connectés», écrit Prensky. Les joueurs d'aujourd'hui créent des outils ou des armes, des espaces, des univers et, parfois, des jeux entiers. Ils ne se contentent plus d'utiliser la technologie, ils se l'approprient. Pourtant, les digital natives ne sont pas tous égaux. De fortes inégalités d'accès demeurent‑: différences sociales et géographiques ont un impact fort. Etre né à l'heure du digital ne garantit pas le statut de membre. La fracture numérique est, en fait, double‑: sans accès, ils sont, également, écartés de ce qui est considéré comme un savoir partagé par toute une génération. Il leur faudra, le jour où ils pourront se connecter, combler ce double fossé.
Les ruptures qui comptent sont des ruptures d'usages. Si elles sont plus fortes et plus visibles chez les jeunes générations, elles existent aussi dans les générations précédentes. Ainsi, les jeunes ne sont pas les seuls à utiliser les réseaux sociaux. Si MySpace est très marqué par la jeunesse de sa population, en partie du fait de la culture musicale forte qui le soutient, un site comme Facebook, issu de la culture universitaire, est plus mixte. D'ailleurs, son ouverture au grand public, en septembre 2006, a permis l'entrée de nombreux jeunes désireux de s'associer à la culture de réseau des grandes universités, mais aussi de personnes plus âgées. Il n'y a donc pas que des ruptures de génération. Facebook est devenu en moins d'un an l'un des sites les plus utilisés au monde, pas seulement grâce aux jeunes qui l'utilisent, mais aussi avec le concours de tous les autres qui y trouvent un réel intérêt. Ces ruptures d'usages comptent plus que les ruptures de générations. Mais, ce sont bien les jeunes nés après l'internet qui, le plus souvent, nous révèlent ces usages nouveaux qui façonneront l'internet de demain.
Où vont les jeunes via Internet ?
L'exemple de MySpace et de Facebook, symboles des sites utilisés par les jeunes, permet d'éclairer cinq tendances de fond.
Les technologies comptent peu
Les débats dont les médias rendent compte sont souvent le fait de passionnés de technologie, de développeurs, d'éditeurs ou de journalistes spécialisés. Or, les jeunes ne semblent pas massivement attirés par les technologies complexes et se désintéressent de leur fonctionnement. Les technologies de sites comme MySpace n'ont rien d'exceptionnel. Facebook est plus intéressant, mais pas fondamentalement différent du point de vue de l'utilisateur. Ce sont donc les fonctionnalités, la souplesse, la capacité de créer et d'animer un réseau qui vont compter. La simplicité prime. La technologie s'efface au profit de l'utilisation que nous en faisons. Les jeunes l'ont compris tout de suite, eux qui ne cessent d'explorer ce qu'ils peuvent faire avec toutes les nouvelles techniques mises à leur disposition sur Internet. Ils ne sont pas tous programmeurs, loin de là ! Mais les barrières à l'entrée sont faibles, les connaissances nécessaires à son utilisation limitées et le potentiel fort. Pas besoin d'être ingénieur pour utiliser la messagerie instantanée ou créer son profil sur Facebook ou monter un blog.
L'appropriation d'Internet par les jeunes
L'internet permet aux jeunes d'utiliser l'outil comme bon leur semble, les aider à construire leur identité en relation avec les autres et au-delà de toute mécanique institutionnelle classique. Les outils comme Facebook, MySpace ou les blogs le leur permettent, car ils sont des plateformes ouvertes, modifiables, aux règles souples.
Créer, publier et modifier son profil sur un site de réseau social, c'est ajuster son identité par petites touches face aux autres. Créer un blog, commenter sur ceux de ses amis, c'est forger son opinion, s'affirmer, dire ce que l'on pense et se confronter. Toutes ces fonctions, très largement utilisées par les jeunes, montrent une dimension très différente des potentialités de l'internet dans la sphère économique et sociale. C'est sans doute pour cela que ces sites comptent parmi les plus visités et les plus utilisés au monde. Mieux vaut les suivre de près.
Communiquer dans les nuages
Le mail est orienté vers un destinataire spécifique dont on attend une réponse, une interaction. C'est une communication sous contrôle. L'internet, lui, permet d'envoyer des informations tout en laissant aux intéressés la possibilité de répondre comme et quand ils le désirent. C'est ce qui se passe quand un jeune crée son profil et l'ouvre à ses amis ou qu'il laisse un commentaire sur la page publique de ses amis (le wall de Facebook). On passe d'une communication proactive et institutionnalisée à une communication souple et non maîtrisée. Twitter, l'outil qui permet à tous les membres d'une communauté de savoir en permanence ce que les autres membres font grâce à de très courts messages instantanés, est l'archétype de cet usage naissant.
Internet comme espace et outil relationnel
Pour les jeunes, le potentiel d'Internet est, d'abord, un potentiel relationnel : absence de normes préétablies, liberté d'expression, multiplicité des outils et des moyens, présence d'un très grand nombre d'utilisateurs, des proches et des plus éloignés. Possibilités de rencontres, de découvertes. Même des sites comme eBay sont aussi des sites relationnels, avec la mise en relation d'un vendeur et d'un acheteur, comme l'est Skype qui nous permet de parler pour pas très cher. Le potentiel relationnel de l'internet apparaît comme un des piliers de la compréhension de son succès. Mais la possibilité de la relation n'est pas efficace si elle ne peut pas être un tant soit peu organisée. L'internet conçu comme une plateforme s'organise très bien et très facilement en communautés souples, aux frontières changeantes. La beauté de la chose, c'est qu'il semble repousser les frontières de ces communautés plus loin que dans le monde physique. Un jeune peut à la fois appartenir au groupe de ses amis sur Facebook et MySpace, mais aussi au groupe des fans de ses chanteurs préférés, de son équipe de foot favorite et de sa classe d'école. Il y agira différemment, y rencontrera des gens différents, y proposera une image de lui différente. Les possibilités d'appartenir à plusieurs communautés sont plus grandes et les possibilités de participations et d'interactions plus fortes. C'est la puissance de l'effet de réseau. Mais, à y regarder de plus près, ce phénomène ne concerne pas que les jeunes.
Les jeunes experts prennent la parole
L'internet qui se construit est un Internet de participation, comme le montrent abondamment les usages des jeunes qui n'y agissent pas en tant que consommateur, qu'ils ne sont pas encore vraiment, mais bien en tant qu'acteurs engagés. C'est aussi un Internet d'amateurs qui accèdent à des outils d'experts, à commencer par des outils de publication et de création. Cela change beaucoup de choses, notamment dans toutes les mécaniques institutionnelles bien établies de production du savoir et de sa diffusion. Cela change déjà les choses dans la façon dont les jeunes apprennent, par exemple en utilisant Wikipedia, une encyclopédie d'experts amateurs collectifs et actifs… plutôt que l'Encyclopædia Britannica. Parce qu'il est ouvert, relationnel, communautaire, qu'il est construit par ceux qui l'utilisent et qu'il est plus porté par des usages en cours d'invention, l'internet se théorise mal. Il se prête peu à la conceptualisation et il ne poursuit pas des buts prédéfinis, ce qui ne facilite pas la compréhension. La très forte multiplicité des sites, des usages, des services, des possibilités le rend finalement très divers. Il est souvent une réponse à un besoin mal appréhendé qui rencontre des utilisateurs.
Un bon exercice consiste à interroger les créateurs, souvent eux-mêmes très jeunes, des sites les plus à la mode. Les cofondateurs de Google expliquent qu'ils ont créé leur moteur de recherche parce qu'ils n'étaient pas satisfaits de ce qu'ils trouvaient sur le marché. Les fondateurs de YouTube racontent qu'ils ne trouvaient pas de site leur permettant d'échanger facilement de la vidéo et de la partager avec leurs amis. Le créateur de Facebook cherchait simplement à construire le trombinoscope électronique de son université… Tout cela sans trop bien savoir ce que cela allait donner. Les utilisateurs ont décidé ! Cette difficulté de conceptualisation peut rendre l'internet délicat à comprendre et le soumet aux jugements de valeurs et aux analyses approximatives dont il n'est pas toujours facile de faire la part. L'expression «web 2.0» en est probablement l'archétype.
Finalement, ce sont les grandes lignes de forces d'Internet que nous désignent les usages des jeunes. Ce que nous appelons dynamique relationnelle peut se décrire de la manière suivante : les technologies sont présentes, mais se font oublier au profit des usages; une vraie souplesse de la plateforme qui permet une appropriation facile par ses utilisateurs; une capacité à communiquer «dans les nuages» avec le plus grand nombre et de façon très libre; un espace social et relationnel; qui donne la parole aux amateurs experts.


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