La Médina de Tunis garde les mêmes senteurs et atmosphères, malgré tout. Cinq ans après la révolution, le tourisme en déclin continu, le pouvoir d'achat des Tunisiens se dégrade d'une année à l'autre, mais rien de tout cela ne semble affecter la Médina, au cœur de la ville de Tunis. Presque un an après l'attentat du musée du Bardo, les commerces résistent malgré la fermeture de certains, d'après tous les commerçants qu'on a abordés. A 9h00, ils sont là, assis ou debout devant leurs commerces, échoppes ou étalages, la rue est pleine de passants mais aucune opération de vente. Ils discutent entre eux, écoutent la radio, sirotent un café, interpellent les passants qui s'arrêtent pour regarder mais pas pour acheter. Les échoppes pleines à craquer de marchandises exposées (artisanales ou d'origine chinoise) étalées, propres, bien organisées et attirantes par leurs différentes couleurs, textures et matières. Dès que l'on s'approche d'une échoppe ou d'une boutique, le commerçant nous appelle et nous encourage à voir ses marchandises, les yeux brillants, le visage illuminé pour nous parler de ses produits et vanter leur valeur traditionnelle et authentique. En les interrogeant sur leur situation actuelle, certains refusent de répondre à nos questions, ou nous donner leurs avis, préférant garder l'anonymat comme, Mohamed, la soixantaine, qui nous a parlé d'un ton furieux, pessimiste. Il est propriétaire d'un grand commerce au cœur du souk de la mosquée Zitouna. Il nous montre avec fierté ses étagères pleines de diverses marchandises mais s'avère toutefois moins fier de nous présenter celles qui sont d'origine chinoise qu'il est contraint d'acheter pour leurs prix réduits. Et Mohamed d'enchaîner sur la détresse de la main-d'œuvre tunisienne travaillant dans le secteur de l'artisanat et qui ne cesse de quitter ce métier à contrecœur parce que la situation devient invivable. «Rien n'est plus comme avant dans tout le pays, pas seulement dans notre domaine», dit-il. «Tout s'effondre autour de nous, le commerce, le tourisme, l'économie... et, de plus, on est gouverné par des politiciens qui ne se soucient que de leur avenir ou des intérêts de leurs partis». Amer, il évoque «les années de galère et de souffrance qu'il a passées même avant la révolution avec l'indifférence et la négligence du gouvernement qui, depuis de lointaines années, n'a manifesté aucun réel intérêt pour ce secteur», poursuivant qu'avec la révolution et les attentats commis en 2015 (le Bardo, Sousse et Mohamed V), la situation semble de plus en plus compliquée, selon lui, voire irrécupérable. Son fils, à côté de lui, ne fait qu'approuver ces propos. Il est diplômé du supérieur et au chômage, il n'a pas d'autre choix que de tenir le commerce de son père. De son côté, le père commence à réfléchir à une autre alternative pour survivre avec sa famille, dont il est le seul soutien financier. Un peu plus loin, Maher, la vingtaine, en blouson et jean, son ordinateur par terre, posé près des marchandises exposées, locataire d'un local de vente de produits artisanaux, surtout en cuir et dont il est le créateur, nous accueille le visage souriant, paraît moins pessimiste mais plus réaliste. «C'est mon métier, je l'ai appris de mon père, c'est une histoire de famille, je ne peux pas le quitter ou le changer malgré toutes les difficultés qu'on a traversées ces dernières années et qui ont grandement affecté notre commerce», a-t-il dit. «On trouve vraiment du mal à vendre nos marchandises qui restent longtemps dans les échoppes», a-t-il indiqué en nous montrant les chaussures, les tongs, les porte-clés, les portefeuilles, les sacs et les porte-documents et tous les autres produits exposés. «J'envisage d'entamer une autre activité commerciale ou économique en parallèle pour survivre avec ma famille parce que cette échoppe ne va pas bien depuis une bonne période», dit-il en souriant, précisant qu'il ne va pas abandonner ce commerce. Partageant son inquiétude, Adel, la quarantaine, est debout devant son échoppe des produits de l'artisanat en cuivre. D'une voix calme et amère à la fois, il parle d'une détresse et d'un mal-être vécus depuis la révolution et qu'il n'arrive plus à supporter. «L'année 2015 a été fatale pour notre secteur, la situation s'aggrave de plus en plus, on ne voit plus de touristes dans nos souks», selon lui. «Comment allons-nous vivre dans ces conditions et subvenir aux besoins de nos familles ? cela devient de plus en plus dur, c'est une situation dramatique !», s'est-il exclamé. «Je connais des commerçants qui ont fermé leurs échoppes et qui ont été contraints de changer de métier. Ce n'est plus un choix, c'est la triste réalité à laquelle on est confronté tous les jours», a-t-il ajouté d'une voix triste. Les ruelles de la Médina, malgré le flux incessant des passants, demeurent vides pour la majorité des commerçants qu'on a abordés et qui sont encore dans l'attente d'une véritable relance du tourisme et de l'économie.