La situation est plutôt alarmante. Certains métiers risquent même de disparaître. Une réaction urgente s'impose Tous les artisans interrogés sont d'accord sur un point: ils sont les derniers à exercer leurs métiers. Des savoir-faire traditionnels se perdent, à cause du manque de main-d'œuvre, de mauvaises conditions de travail mais surtout du manque d'intérêt de la part des Tunisiens pour les objets traditionnels. D'après une récente étude de l'Association de sauvegarde de la Médina de Tunis, les métiers de la céramique, de la sellerie ou de la verrerie ont quasiment disparu. Dans les souks de Tunis, apparaissent surtout les vendeurs de bijoux et de souvenirs touristiques. Les artisans ont leurs échoppes plus loin dans les ruelles, après la Mosquée Zitouna. Malgré le manque d'affluence, ils tiennent encore le coup. Et c'est le cas de le dire, car certains restent positifs malgré les difficultés. Mohamed Mehdi, bonnetier et fabricant de chéchias, se présente fièrement comme le plus jeune artisan des souks de la Médina. A 32 ans, il a préféré abandonner son métier d'informaticien dans une banque pour reprendre l'entreprise de chéchias de son père qui appartenait elle-même à son grand-père. Celui qui passait ses vacances dans les souks, alors petit, parle avec passion de son métier qu'il exerce déjà depuis dix ans. Il ne nie pas les problèmes qu'il doit surmonter mais s'estime heureux des ventes qu'il effectue, notamment grâce à l'exportation. Ses principaux clients, en plus des Tunisiens qui viennent acheter à l'occasion, sont du Niger, de Libye ou du Tchad. Un métier de passion délaissé Différents modèles, qui prouvent l'étendue du savoir-faire de Mohamed Mehdi, sont exposés en vitrine. Les calottes à imprimé africain, des bonnets féminins avec un bijou sur le devant... Les difficultés de Mohamed concernent surtout la cherté de la matière première. Ainsi, la laine, son matériau principal, lui revient de plus en plus cher : «La meilleure coûte entre 30 et 40 dinars le kilo!», explique-t-il. Il déplore aussi la concurrence déloyale de nouveaux arrivants non professionnels. Il parle même d'imitation de ses modèles et de la copie de ses boîtes imprimées de sa marque. Un procédé malhonnête qui permettrait de faire vendre des produits de moins bonne qualité au même prix que les bonnets que fabriquent à la main Mohamed Mehdi et ses employés. Le jeune artisan reproche, avec regrets, l'absence de la relève même s'il profite de tout le plaisir que lui procure de son métier. Dans le souk El-Leffa, Houcine est venu discuter avec le jeune bonnetier. Ce tailleur de jebbas de 50 ans fréquente les souks depuis qu'il a 8 ans et ne se fait pas prier pour parler. «Il n'y a plus de travail, regrette-t-il, beaucoup de gens qui ne sont pas des artisans viennent sur le marché pour vendre des jebbas au kilo». Ceux-là lui copieraient ses modèles en utilisant des tissus bon marché et en cousant les robes traditionnelles à la machine. Dégoûté par ces «imposteurs», il n'est pas le seul dans ces rues de la Médina. Anwar, artisan tisserand, est plus que pessimiste. Il donne encore cinq ans à l'artisanat tunisien avant qu'il ne disparaisse complètement. «Les objets traditionnels ne sont plus des produits basiques, c'est devenu du surplus, du décor», explique l'artisan, assis derrière son comptoir, occupé à finir un foulard. Devant son échoppe, des tissus, des foutas, en coton ou en laine, des bobines de fil de toutes les couleurs sont entassés. Anwar assure se battre depuis plus de vingt ans contre les matières synthétiques. Il accuse le polyester d'être l'une des causes du déclin de l'artisanat. Les clients préfèreraient aujourd'hui acheter moins cher des produits de moins bonne qualité, alors que lui, il assure n'utiliser que des matières naturelles, ses mains et celles de ses employés pour réaliser des étoffes au toucher soyeux ou des foutas à la laine rugueuse. Celui qui montre son travail avec fierté n'a pas trouvé de relève. Cependant, Anwar, qui a hérité de ce savoir-faire de son père, n'encourage pas les jeunes à se lancer dans l'artisanat.