Par Khaled TEBOURBI Nous l'avons découverte comme tout le monde, et comme tout le monde nous avons vibré, émus. Dieu du ciel ! quelle belle nature, et à cet âge, quelle belle maturité au chant. Le lexique du «ghina» arabe regorge de vocables. Nous en trouverions plusieurs pour décrire le talent exceptionnel de Nour Qamar.Comme il s'est révélé à travers les premières vidéos de «jawhara FM». Une vraie sensation. Comme il a «explosé», ensuite, à «The voice kids» avec cette somptueuse interprétation de «Biridhak ya khaligui» de Oum Kalthoum. Un qassid-mawel, rien moins ! Les spécialistes savent ce que c'est. Et les interprètes encore dignes de ce nom sont là pour témoigner que pour se sortir de ce genre il faut avoir accumulé une écoute pointilleuse du meilleur répertoire classique, et avoir visité et revisité les grands de la chanson. Comment cette élève de septième, cette enfant d'à peine douze ans a pu accéder à de tels niveaux ? Comment, dans les conditions stressantes de «The voice kids», a-t-elle pu (au contraire) déployer une telle aisance et atteindre à une telle qualité ? N'en faisons pas trop un miracle. Les scientifiques ont depuis longtemps fait le tour de l'enfance surdouée. Ils en disent, notamment, qu'elle se manifeste par l'éveil, tôt, très tôt au milieu environnant, par la compréhension rapide, par le refus de la routine, et, plus significatif encore, par la nette préférence pour les personnes plus âgées. Dans la musique, en général, et dans le chant, plus particulièrement, cela se traduit par un pouvoir de captation et de mémorisation hors du commun. Tout écouter et tout retenir est un atout de base, c'est une culture musicale acquise «aux moindres frais». Ajoutons-y l' avantage d'être «une culture spontanément sélective», qui évite à l'enseignant, au maître ou au mentor de se dépenser souvent sans compter pour affiner des choix ou polir des goûts. Le génie musical précoce a déjà instinctivement fait le bon tri, «séparé le bon grain de l'ivraie». Les éducateurs n'ont plus pour tâche que de valoriser cet «instinct» en le consolidant par un savoir, un appoint de théorie. C'est juste un travail d'entretien, mais ce que l'on entretient là est un potentiel rare, précieux. On s'y maintient. Tout dégringole autrement. On a des exemples, d'ici et d'ailleurs, où des adultes, mus par quantité d'intérêts, ont conduit des artistes précoces à leur perte, les vouant à l'anonymat sinon à l'oubli. Le cas de Aaliyah, l'américaine, fin 80, est fréquemment cité. A seulement quatre ans, elle chantait avec une justesse étonnante. A huit, elle dépendait d'un agent new-yorkais, vorace et sulfureux. A quatorze, elle régnait sur le R'N'B' mondial. Elle n'ira pas plus loin :morte dans un accident d'avion privé, croulant sous la surcharge, et piloté par un commandant accro à la drogue. Aaliyah était une voix de génie, mais elle fut, d'entrée de jeu, «la chose» d'affairistes ignares et sans scrupules, qui ont non seulement détruit son enfance, mais encore manipulé sa carrière à des fins exclusivement mercantiles. Ce n'étaient que les années 80. Et ce genre de pratique s'est lourdement aggravé depuis le temps. Des affairistes ignares et sans scrupules détiennent, aujourd'hui, le marché de la chanson, à l'échelle mondiale, et au niveau régional. Ils dominent en plus le monde des médias et de la diffusion. Ils font et défont les publics et les modes. Rien ne leur échappe plus dans l'espace artistique. Pas même (surtout pas !)des enfants prodiges du chant. On n'organise pas un «The voice kids» pour les «beaux yeux» de l'Art. Quiconque sait à qui profite le «filon». C'est une aubaine pour les «promoteurs» (une affaire de milliards engrangés) mais aussi pour ceux qui «ramassent des miettes dans leur sillage», les «forcenés du buzz» et les «collecteurs» cyniques d'audimats. Ceux-là ne lâchent prise que quand «le fruit» n'a plus de jus. On s'arrête au cas de Nour Qamar parce que, comme les choses se «tissent» déjà, tout indique que le petit «génie du tarab» est déjà affublé de tous les ingrédients de la «com», et écarté, subrepticement, de ce qui lui reste à faire pour développer et maximiser son talent. Un animateur, sûrement inconscient du gâchis causé, exultait l'autre mercredi, noyant Nour Qamar sous un flot de formules désuètes, « étoile, star, super star» et autres. Pour dire quoi, au final ?Rien, absolument rien. Simplement, bêtement, pour l'unique profit de remplir et de «vernir» une émission. Et à l'enfant prématurément «accablé d'éloges» de se débrouiller plus tard, pour ne pas garder les traces d'un si grossier défaut de pédagogie. On songe au tout jeune Rayène et à ce que beaucoup en ont fait. De voix juvénile puissante, colorée, apte à restituer tous les chants, on l'a transformé à une vitesse record en une «star de galas de noces», sous contrôle d'agents cupides, ressassant les mêmes chansons «bâtardes» et amassant les «cachets». Rayène a été stoppé là où il a commencé. Il avait une extraordinaire aptitude naturelle ; il n'a plus rien appris. C'est ce que l'on craint, précisément, pour Nour Qamar. Elle, au surplus, est une héritière impromptue inespérée de la tradition de la musique savante. Raison supplémentaire d'en prendre soin et de s'en inquiéter. Une chose surtout : qu'elle ignore le «manège adulte» qui l'entoure, et qu'elle sache que pour elle le plus dur est à venir (en art et en savoir !) si elle veut vraiment tutoyer les sommets.