Panacée universelle contre les maux de la société moderne, le soufisme gagne du terrain. Ce regain de spiritualité est-il exempt d'arrière-pensées et de calculs qui dénaturent et altèrent sa vocation fondamentale, celle de communier avec Dieu et de faire de son amour son idéal quotidien ? Phénomène de mode, le chant soufi ou mystique fait recette et rapporte de gros sous à ceux qui savent exploiter ce filon juteux et lucratif à l'envi. Exception faite pour Fawzi Ben Gamra, qui, après une éclipse de neuf ans, revient sur scène dans un genre tout à fait nouveau. Il était l'invité de la clôture de Boukornine qui s'est déroulée samedi dernier. Un artiste sincère et sérieux qui ne fait pas dans l'amateurisme et le folklore. De plus en plus d'artistes, pas toujours de premier plan, cherchent à se remettre en question en se dégageant du matérialisme qu'ils jugent envahissant de nos jours parce qu'il fait l'apologie d'un état d'esprit orienté vers la seule recherche des plaisirs et des satisfactions ordinaires et communs, et cependant éphémères. Beaucoup d'artistes, pas du tout d'accord avec cette nouvelle tendance, reprochent à ceux qui l'ont suivie un prosaïsme très terre à terre, consistant à régler leur conduite selon les circonstances du moment qu'ils cherchent à utiliser et exploiter au mieux de leurs intérêts. Cette orientation tout à fait particulière était absente du programme de Fawzi Ben Gamra, «Jawhar al hosn» (essence de la grâce). Cette appellation sera justifiée par la ligne du parcours balisé du spectacle L'alchimie des symboles religieux «Jawhar al hosn» est cette note fondamentale qui a servi de base à un accord parfait dans la riche variété de sons musicaux et vocaux impeccablement restitués par un ensemble de quatorze éléments à l'allure élégante, vêtus d'un costume en lin beige. Sept instrumentistes et sept choristes placés de part et d'autre de la scène dont les mouvements étaient canalisés et régularisés par le maître d'œuvre, Mehdi Bahri, dans une gestuelle sobre et loin de toute complaisance excessive. Le show a démarré avec une lecture d'un passage du saint Coran où l'évocation de la grâce divine était sollicitée. L'entrée en scène de l'ancienne icône du mezoued a fait sensation et produit son effet sur les présents, d'avance acquis à sa cause. Charismatique à souhait, Fawzi Ben Gamra jouit d'un réel prestige auprès d'un certain public qu'il sait manipuler et séduire. Très ovationné, il a entamé sa prestation par des formules incantatoires adressées au Prophète de l'Islam où il était question des qualités cardinales et sublimes du Messager de Dieu. L'adhésion des foules s'expliquait par le formidable ascendant, une espèce de magnétisme comme qui dirait animal, un attrait puissant et mystérieux dont l'artiste fait usage à volonté et qui, en définitive, se révèle payant. Contrairement à beaucoup d'artistes qui ont emprunté cette voie, Fawzi Ben Gamra semble justifier son choix par une attitude extrêmement tolérante et une ouverture qui exprime les vraies valeurs de l'Islam. Pour preuve, ce magnifique chant «Choft eddonia» (j'ai voyagé dans le monde), une réplique du fils prodigue qui revient au domicile paternel ou vers Dieu après avoir dissipé sa vie et dilapidé sa fortune dans les plaisirs interdits. Une allusion à la parabole évangélique, citée dans la Bible, de l'Enfant prodigue. Avant de quitter la scène, il a de nouveau interprété cette parabole sur l'insistance du public. Lequel public a perçu dans le comportement de l'artiste une absence totale d'emphase, de maniérisme et même d'hypocrisie. Et c'est dans une évidente alchimie des symboles religieux de toutes les confessions célestes qu'il a réussi à trouver une panacée en résonance avec sa nouvelle voie, celle du chant mystique. Le public de Boukornine a apprécié, aimé et applaudi.