Certains ministres prennent des engagements et annoncent, à tour de bras, des réformes et des mesures, sans se référer au chef du gouvernement et sans en avoir étudié, auparavant, les incidences budgétaires avec les services des finances publiques Le chef du gouvernement serait furieux contre certains de ses ministres qui se pavanent sur les plateaux pour parler de tout et de rien, au risque d'être ridiculisés et devenir la risée des «facebookers». «Trop, c'est trop», confie un proche collaborateur de Habib Essid qui explique que ces quelques ministres, «pourtant politisés, n'ont pas eu de précédentes expériences en matière de gestion et pèchent par un manque de culture de gouvernement et de sens de l'Etat. Ils sont beaucoup plus soucieux de leur image que de celle du gouvernement». A preuve, ces pages de leurs ministères respectifs transformées en pages personnelles «sponsorisées» et qui ne relatent que l'activité de «monsieur le ministre». Or, cette culture de l'Etat ne s'apprend pas à l'école, mais dans l'exercice des hautes fonctions. Assez souvent, ils s'expriment sur n'importe quel sujet, même s'ils ne concernent pas leur champ de compétence, ne sachant pas, ou faisant comme si, que leurs déclarations engagent le gouvernement. S'ils ont le droit de s'exprimer, ils doivent le faire dans le respect de la confidentialité. Un manquement isolé peut, à lui seul, suffire à entamer l'image de l'équipe et sa cohésion. Ce qui n'est, malheureusement, pas le cas pour beaucoup d'entre eux. Accorder les violons Certains de nos ministres prennent des engagements et annoncent, à tour de bras, des réformes et des mesures, sans se référer au chef du gouvernement et sans en avoir étudié, auparavant, les incidences budgétaires avec les services des finances. Or, les réformes structurelles se traitent en Conseil des ministres avant de passer devant le Parlement. D'autres se distinguent par un franc-parler en donnant leurs avis sur tout et rien, alors qu'ils ont une certaine obligation de réserve. Ou encore avancer des données statistiques en parfaite contradiction avec celles annoncées par un de leurs collègues. Comme c'est le cas du nombre de Libyens vivant en Tunisie. Quand l'INS identifie quelque 9.000, le ministre de l'Intérieur parle de deux millions, soit le tiers de la population libyenne, alors que son collègue des Affaires sociales descend jusqu'à 350.000 seulement. Qui croire et quels sont les critères adoptés pour déterminer le nombre exact d'étrangers parmi nous ? Ce fut, également, le cas pour ce dérapage du nouveau porte-parole du gouvernement à propos des recrutements dans la fonction publique et qui a failli mettre de l'huile sur le feu. Beaucoup plus habile dans l'élément politico-religieux, il se perd souvent quand il s'agit d'expliquer des mesures à caractère social et économique. Dialoguer avec les barons de la contrebande ! Le dernier couac est à mettre à l'actif du nouveau ministre du Commerce qui, depuis sa prise de fonction à la tête du ministère, est en passe de battre le record d'apparitions sur les plateaux. Il se déplace beaucoup, tient des réunions au siège de son département, parle trop, fait des déclarations aux médias, rencontre les gens du secteur et bientôt il engagerait un dialogue avec...les gros poissons de la contrebande, ces «barons» qui ont détruit l'économie nationale. Il a affirmé qu'il dispose dores et déjà d'une liste exhaustive des plus grands contrebandiers qui seraient invités à s'asseoir autour de la même table avec lui, pour tenter de les convaincre de mettre fin à leurs activités illicites et de les ramener sur le droit chemin. Ce faisant, il a tout simplement mis les pieds dans le plat et même s'il a tenté de rectifier le tir, le coup est déjà parti ! On sait que tous les secteurs de l'économie nationale sont à plat, sauf la contrebande qui se développe de plus en plus au vu et au su des gouvernements successifs, incapables de juguler un phénomène alarmant qui connaît, au cours de ces dernières années, une ampleur sans précédent. Le secteur informel représente, selon plusieurs experts et les institutions internationales, «53 % du PIB entraînant un manque à gagner pour l'économie nationale de deux milliards de dinars par an». Et qui dit secteur informel dit contrebande. Enorme dans un pays où l'économie peine à redémarrer en raison de plusieurs difficultés conjoncturelles, entre autres les arrêts de la production dans des secteurs clés comme le phosphate qui a enregistré une baisse de près de 23% et le déclin du tourisme, frappé de plein fouet par deux attentats terroristes en mars 2015 au Bardo et en juin de la même année à Sousse et qui a enregistré un déficit de 45% dans le nombre de nuitées. On parle de véritables «mafias» organisées avec à leurs têtes des barons intouchables qui gèrent des trafics de tous genres. La contrebande touche «tous les secteurs d'activité et tous les produits, sans aucune exception: produits alimentaires, pharmaceutiques, de l'énergie, de la santé, les produits subventionnés, mais aussi les armes et les devises, dont le risque sur la stabilité sécuritaire et économique est très grave», selon l'expert Moez Joudi. Un marché juteux comme le trafic en devises échappe au contrôle des services de l'Etat. «Il s'agit de milliards et de milliards qui s'échangent en dehors des circuits réglementaires, ce qui est en train d'impacter la valeur du dinar tunisien». Quid de la cohérence du gouvernement ? Face au développement de ce phénomène, les services de l'Etat sont comme paralysés. Pourtant, les « barons » sont connus. La liste des «gros trafiquants» promise par le nouveau ministre du Commerce, Mohsen Hassen, risque de ne pas voir le jour, à moins d'une ferme volonté de la part du gouvernement de frapper fort en remontant toutes les filières et non en faisant la traque aux petits trafiquants de carburants et de produits alimentaires. Le plus grave dans tout cela, c'est que Habib Essid n'a pas été informé de cette décision hâtive et incohérente qui risque de porter préjudice à l'action du gouvernement et à l'image du pays en général. Un dossier aussi chaud et épineux ne se traite pas avec une telle légèreté, ni avec de simples intentions, aussi bonnes soient-elles. Faudrait-il s'étonner qu'un jour, un ministre annonce une initiative appelant au dialogue avec les terroristes? Les couacs à répétition font mal et écornent l'image du gouvernement et le mettent dans l'embarras. Habib Essid doit faire usage de son autorité pour rappeler à l'ordre les récidivistes, les recadrer et les rabrouer s'il le faut pour en finir avec cette confusion, ces déclarations polémiques et ces apparitions télévisées préjudiciables. Car, ces nombreuses prises de position de quelques ministres souvent, en contradiction avec la ligne tracée par le chef du gouvernement pourraient donner l'image d'un chef qui ne sait pas tenir ses troupes. Même si cela paraît assez compliqué, la cohérence du gouvernement doit être une priorité absolue. Certains ministres doivent apprendre à travailler beaucoup plus qu'à parler.