S'il y a un commerce prospère, à part la mendicité, la contrebande et le commerce parallèle, c'est sans aucun doute le charlatanisme, qui connaît, ces temps-ci, et à l'image de ces derniers, un essor inouï, jamais réalisé auparavant par ce « secteur ». C'est le résultat paradoxal de cette ère révolutionnaire. Cette prospérité est, donc, loin d'être le produit du hasard, ses raisons se trouvent bien ancrées dans la nouvelle réalité économique, sociale et culturelle du pays. C'est dans ce contexte que devrait être placée l'affaire du charlatan « Kamel le Marocain », et c'est à travers ces facteurs que l'on pourrait expliquer sa propagation au sein de la société. Cependant, ce phénomène n'est pas récent, il date depuis longtemps. Méthodes sournoises Chacun se démène, dans cette vie, pour essayer, autant que faire se peut, d'accéder à la bonne santé, au bonheur, à la joie, à la prospérité, et agrémenter, par là, sa vie et lui donner un sens. Et quand ces efforts ne sont pas couronnés de succès et que ces vœux ne sont pas exaucés, notre vie devient un calvaire et une suite d'échecs et donc de souffrances. Pour y faire face, on use de moyens diversifiés dont le choix dépend du niveau de conscience et d'intégrité morale de chacun. Certains choisissent la lutte pour agir sur cette réalité injuste, d'autres optent pour des solutions faciles, utopiques et illusoires. Et c'est là qu'ils tombent dans le filet tendu par les escrocs et les charlatans qui emploient des méthodes malhonnêtes, sournoises et très variées, pour les piéger et tirer profit d'eux. Ecrasés par la cruauté de la vie et souffrant de la malchance qui leur tourne le dos et les abandonne, ils ne trouvent pas mieux que de se jeter dans la gueule du loup pour aggraver davantage leur situation, redoubler leurs tourments et aiguiser leurs souffrances. Ceux d'entre eux qui sont atteints de maladies incurables, telles que le cancer, sont les plus exposés à l'escroquerie de ces soi-disant guérisseurs, ces charognards qui profitent de leurs malheurs et de leur désespoir et en font un commerce fructueux. Parmi les méthodes employées par ces imposteurs, on cite, à titre d'exemple, celle dont usait une femme, à l'Ariana, qui prétendait rendre l'eau minérale, que lui apportait le malade, curative rien qu'en y passant sa main magique dessus, et celle que pratiquait un homme de la région de Sousse qui torturait ses victimes, en les brûlant avec sa faucille incandescente dans la partie du corps qu'il aura localisée comme étant l'endroit du mal. Ces escrocs nous rappellent l'histoire de la femme de Nefza des années quatre-vingt qui s'est répandue dans tout le pays. Elle avait le « don » de tirer le calcul rénal à l'aide d'un fil de soie, alors qu'en réalité, elle cachait de petites pierres dans les plis de son vêtement traditionnel très ample (malya), qu'elle prenait habilement et dissimulait dans sa main, puis elle ressortait le fil de la bouche du patient, lui faisant croire que c'était de ses reins qu'elle les avait tirées. Ce commerce malsain élit domicile non seulement dans les régions, mais aussi en plein centre-ville de la capitale. Selon la croyance populaire, l'hépatite et la jaunisse (boussouffir), qui est provoquée par une épouvante (fajâa), se soignent dans le « grand centre hospitalier populaire Sidi El Halfaoui », où le patient doit se présenter sept samedis de suite, pour espérer la guérison grâce à la piqûre bénite, faite à l'aide d'une plante que les descendants mâles de Sidi El Halfaoui, dotés d'un« don héréditaire » qui leur permet de guérir le mal, font chauffer au cierge. Exorcistes et diseurs de bonne fortune On pratique ces rituels moyenâgeux en plein 21ème siècle, alors que la jaunisse, ou ictère, est causée par la présence excessive de pigments biliaires (bilirubines) dans le sang humain, c'est-à-dire qu'elle est contractée par un virus, et que l'épouvante n'a rien à voir avec cette maladie. En dehors du samedi, pendant les autres jours de la semaine, le responsable du habous de la «zaouia» de Sidi El Halfaoui s'adonne à une autre activité: l'exorcisme, qu'il est le seul qualifié à pratiquer en tant que cheikh, pour déloger les démons du corps du malade qui en est possédé, par la récitation de versets coraniques. C'est sa manière de traiter la schizophrénie. Sa méthode nous rappelle la pratique de la « rokia charia » pour chasser les démons. En fait, les soins très coûteux des maladies mentales, qui sont souvent méconnues et dont certaines comme la dépression ne sont pas prises en charge par la Cnam, ainsi que la capacité d'accueil très limitée du seul centre spécialisé du pays, celui de Razi, dirigent ces victimes vers ces sorciers et ces charlatans et ouvrent de grandes possibilités de générer d'importants revenus pour ce commerce malhonnête. Le charlatanisme se pratique aussi au moyen des sciences occultes. Le procédé le plus en vogue chez nous c'est la cartomancie, la prédiction de l'avenir par l'interprétation des cartes. L'avenir, on peut vous le deviner également par la lecture des lignes de la main, c'est-à-dire la chiromancie, ou bien au moyen du café noir, ou bien encore par le biais de l'astrologie. Donc, on voit très bien que les proies faciles de tous ces escrocs ont des points communs : la misère, l'inculture, le désespoir et la fragilité psychologique. Ces éléments nuisent, considérablement, à ces demandeurs de miracles qui courent après des chimères, en demandant la prédiction de leur avenir à ces charlatans qui ne voient pas plus loin que leur argent. Toutefois, ce ne sont pas seulement les incultes qui croient aux vertus de ces imposteurs, on trouve aussi quelques-uns d'assez cultivés qui font appel à ces charlatans pour leur demander secours et assistance. L'exemple type qu'on peut avancer à ce propos est celui d'un président d'un grand pays européen qui consultait régulièrement un voyant de la ville de Tozeur pour qu'il lui prédise un avenir radieux. Alors, nos politiques pourraient bien lui emboîter le pas, en faisant appel à ces diseurs de bonne fortune, pour essayer de voir si la crise ne se transformerait pas en prospérité. Qui sait ?