Par Jawhar CHATTY Littéralement médusé. Médusé d'écouter le chef du gouvernement dire que nous avons, contre Daech, remporté la bataille de Ben Guerdane. Il est des glissements sémantiques qu'un chef de gouvernement d'un pays en état de guerre devrait savoir éviter. Habib Essid parlait sans doute sur le coup de la fatigue et de l'émotion éprouvée au lendemain de l'attaque terroriste de Ben Guerdane, mais à ce niveau de responsabilité, la mesure dans les propos devait être de rigueur. A moins qu'il ait fait une lecture au premier degré des propos du président de la République qui, la veille, avait laissé entendre que l'opération de Ben Guerdane visait à installer un émirat daechiste dans la région ! Auquel cas, et c'est plus grave, cela pourrait laisser entendre qu'entre La Kasbah et Carthage, il y a véritablement un problème de cohérence dans les niveaux de lecture des terribles événements qui se sont produits ce lundi à Ben Guerdane. Et des niveaux de lecture, il peut y en avoir à loisir mais pas à ce niveau, pas au sommet de l'Etat ! Le président de la République a raison d'évoquer l'objectif de Daech d'établir un émirat dans le sud tunisien, cela a au moins le mérite de la vérité. Le dire, loin d'effarer le peuple face à une telle perspective, c'est donner le ton de ce qui pourrait advenir si l'on ne prenait pas garde à tous les niveaux. Et c'est là justement où parler de « bataille de Ben Guerdane » est littéralement maladroit. A ce que l'on sache, il existe toujours et encore un Etat : l'Etat tunisien. Une nation : la nation tunisienne même si elle a terriblement été érodée par le gouvernement de la Troïka. La Tunisie n'est ni la Syrie, ni l'Irak et, encore moins, la Libye pour que l'on puisse aujourd'hui parler de confrontation entre l'Etat tunisien et l'«Etat islamique ». Convenir du contraire, c'est d'emblée capituler ! La férocité avec laquelle avait été exécutée l'attaque terroriste de Ben Guerdane est inédite. Inédite aura aussi été la riposte de nos forces de sécurité. Inédite et hautement salutaire, surtout la mise en échec de cette attaque par la population de Ben Guerdane. Si, par grand malheur, l'étendard noir de Daech avait flotté, ne serait-ce qu'un moment, sur un bâtiment officiel de la ville, quelle aurait, psychologiquement et matériellement, été la réaction d'au moins une frange de cette population ? Une frange de la population qui en veut à cet Etat qui dit vouloir mettre fin à la contrebande ! La question mérite d'être posée. Non Monsieur le Premier ministre, ce que vous appelez la «bataille de Ben Guerdane » n'est pas une bataille d'une région arrachée, sauvée de l'emprise imminente de l'ennemi, c'est la guerre de nos forces de sécurité, de la Tunisie entière, une et indivisible, et des Tunisiens contre le terrorisme.