Au mois de Ramadan, ce mois de piété et de dévouement, la production tunisienne est au rendez-vous pour mieux choyer le téléspectateur. Ainsi, feuilletons, sitcoms et variétés sont au rendez-vous. Subitement, le Tunisien marque une pause et arrête son nomadisme cathodique. Il a la zapette de moins en moins vive. Entre drame social, action, suspense insoutenable et humour décalé, on part à la découverte des productions dont on ne peut se passer, trente jours durant. Cependant, dans les coulisses des chaînes de télévision, Ramadan sonne le glas d'une guerre à l'audimat. Car ce n'est plus un secret de polichinelle, dans l'univers audiovisuel, la pub représente la principale ressource. De ce fait, les mesures audiométriques qui orientent les annonceurs, servent de boussole pour un bon placement publicitaire. Cependant, l'embrouille des chiffres laisse perplexes les clients potentiels. Il n'empêche, les chiffres des dix premiers jours du mois saint, révélés à la presse locale, ont jeté un pavé dans la mare. Contestés, récusés et pointés du doigt, ces statistiques sont taxées d'être un simple miroir aux alouettes. D'aucuns n'ont pas hésité à fourbir leurs armes pour se lancer, à pas de charge, dans les ronces inextricables d'une bataille à résonnance purement économique. Malgré lui, le téléspectateur se trouve au cœur même de ce duel médiatique. Peut-être qu'il ne parvient pas à saisir la portée économique de cette mêlée, mais une chose est sûre : au mois de Ramadan, le Tunisien jette son dévolu sur les chaînes nationales (publiques et privées). Sur ce plan, les sondages sont clairs. Pour appréhender l'importance de la production des dramatiques arabes, il est important de souligner l'éclosion des chaînes de TV arabes qui a fait porter leur nombre à plus de 450 (dont 35 chaînes religieuses) et l'on prévoit qu'elles augmenteront considérablement dans quelques années. Sur la centaine de feuilletons diffusés pendant Ramadan, la moitié est de production égyptienne, talonnée de près par les Syriens qui proposent une trentaine de séries. Les pays du Golfe, qui entrent de plain-pied dans la course, réussissent à meubler leurs chaînes de télé grâce à une vingtaine de productions locales. Quant aux pays du Maghreb où l'industrie audiovisuelle tarde à faire son évolution, la production se limite à quelques feuilletons qui se comptent sur le bout des doigts. En Tunisie, le secteur ne parvient toujours pas à faire son décollage. Et c'est seulement au mois de Ramadan que quelques feuilletons voient le jour. C'est déjà un pas en avant puisque l'ouverture du secteur au privé en 2005 (arrivée d'Hannibal TV) a fini par booster la production. Aujourd'hui, l'on peut se targuer de produire plus de feuilletons. Et même s'ils se comptent encore sur le bout des doigts, ces dramatiques font le bonheur de milliers de nos concitoyens. De ce fait, les Tunisiens sont scotchés devant les écrans de leurs téléviseurs pendant Ramadan. Et pour cause, le mois saint vient à point nommé pallier la sinistrose ambiante et ankylosante marquant la production dramatique tunisienne le reste de l'année, toutes chaînes confondues. En effet, l'atrophie de l'appareil de production et de distribution national dans cet immense domaine de la communication et de l'audiovisuel, l'asphyxie des productions de l'audiovisuel local face à la fatale submersion de notre marché par les produits égyptiens, européens et américains, laissent subitement place à l'éclosion de l'imaginaire des créateurs tunisiens qui, par on ne sait quelle alchimie, se muent en maîtres de l'art du mélodrame en portant au petit écran des histoires qui nous interpellent. Certes, on se retrouve parfois avec des bides sans nom et des flops artistiques, mais aussi on découvre des scénaristes, qui ont l'art de flairer "l'air du temps" et qui osent sortir des sentiers battus pour mettre l'accent sur des thèmes qui touchent de près le téléspectateur tunisien. Cependant, une fois l'œuvre diffusée, on s'empresse de faire le bilan. Pour cela, les agences de mesure d'audience retroussent les manches et font pour nous le compte. Pendant des années, on n'entendait qu'un seul son de cloche, car il n'y avait sur la place qu'un seul opérateur. Mais cette année, au palmarès des émissions, les classements ( car ils sont multiples) plongent les téléspectateurs au cœur d'une confusion totale. Ainsi, en se référant à un document reproduit par la chaîne privée Nessma TV pour étayer la thèse des "méthodologies erronées " adoptées par les bureaux d'audiométrie, l'agence Sigma Conseil octroie la première place des feuilletons tunisiens proposés pour les grilles Ramadan 2009, à Njoum Ellil 2 (sur Hannibal TV) qui aurait atteint un taux d'audimat de l'ordre 30% au cours de la première semaine du mois de Ramadan. Pour sa part, Casting , le feuilleton de Tunisie 7, s'arroge 23% de l'audimat tandis que le sitcom Dar El Kalaa (sur Tunisie 7) enregistre un taux d'audimat de 15%, Nsibiti Laaziza (sur Nessma TV) ne capte que 14% des téléspectateurs et les guignols Gadekch Logic (sur Tunisie 7) ne retiennent que l'attention de 13% des Tunisiens, selon Sigma Conseil. Cependant, pour MediaScan, une autre agence spécialisée dans les mesures audiovisuelles, le feuilleton Njoum Ellil 2 (sur Hannibal TV) trône avec 49% tandis que la série Tunis 2050, (sur Hannibal TV) enregistre un score conséquent à savoir 32%, suivie de près par l'émission religieuse Lahadhat maa El Habib sur Tunisie 7 (28%) tandis que le Sitcom Nsibti Laaziza sur Nessma TV caracole en bas du classement avec seulement 8% d'audimat ! Ce qui a provoqué un tollé chez les responsables de cette chaîne de télévision, qui pour contrecarrer ces statistiques, ont dévoilé, au cours d'une conférence de presse, les résultats d'une enquête web réalisée auprès d'un échantillon national de 800 personnes et diffusée via quatre sites tunisiens. Ces résultats placent le Sitcom Nsibti Laaziza en tête du top cinq des émissions télévisuelles avec un score de 55% de parts d'audiences, talonné de près par le feuilleton Njoum Ellil2 avec 51%, alors que le feuilleton de Tunisie 7 Casting enregistre un taux d'audience de 37%. Le feuilleton syrien Bab El Hara 5 capte 28% des téléspectateurs tunisiens et le feuilleton Youssef n'a pas dépassé 22% d'audimat. Soit des données contradictoires qui donnent le tournis aux responsables des chaînes TV, qui n'ont pas manqué de tirer à boulets rouges sur les auteurs de ces statistiques. Certes, le serpent de mer alimente les débats sur cette délicate question d'audimat, cependant la question qui interpelle le plus le téléspectateur demeure de loin ce trop plein de pub qui pollue nos télévisions pendant le mois de Ramadan. En effet, la règle d'or adoptée depuis des années, à savoir de ne pas charcuter l'épisode d'un feuilleton par les annonces, a été abandonnée cette année, pour emboiter le pas aux chaînes arabes. Certes, on ne peut qu'admettre l'approche commerciale de nos télévisions, il n'empêche la surabondance du temps de passage, met les nerfs des téléspectateurs à vif. A ce propos, notre confrère Leaders.com, a rapporté dans un article que : "Rien que durant les 7 premiers jours, Tunisie 7, Tunisie 21, Hannibal TV et Nessma TV ont totalisé pas moins de 25 heures, 27 minutes de publicité. Soit près de 3h30 par jour entre écrans classiques et sponsoring". De quoi forcer les téléspectateurs à devenir des publivores malgré eux. Le silence de l'organisation de défense des consommateurs est, aux yeux de plusieurs citoyens, incompréhensible. Sur un autre plan et même s'il est encore trop tôt pour se prononcer sur la qualité des œuvres dramatiques diffusées cette année, l'on peut facilement constater, dans un système où nos chaînes se livrent une concurrence ardue et le souci de l'autopromotion s'est professionnalisé, une grande avancée au niveau de la qualité de l'habillage de l'écran. En effet, la profusion des bandes-annonces ont dicté cet exercice de montage complexe en matière de promotion de programmes et de politique d'identité visuelle de nos chaînes. En effet, le dérushage est pour la plupart des séries et des feuilletons, réussi des "bouts" indépendants les uns des autres et leur regroupement dans des thématiques précises, en vue de faire l'autopromotion de leurs feuilletons. Seulement, partout, les œuvres dramatiques de nos télévisions ne laissent personne insensible. En effet, le débat touche à tous les aspects de la production, du casting, du choix du scénario, du choix des réalisateurs, etc. D'ailleurs, pour baliser la voie à un développement harmonieux de ce secteur, des voix appellent à l'organisation d'un grand colloque sur l'avenir du secteur de l'audiovisuel et de la production en Tunisie. Il s'agit d'identifier les politiques linguistiques des chaînes comme outil d'ouverture, de débattre des problématiques rencontrées et des solutions innovantes qui peuvent être mises en place pour réduire un certain nombre de ces difficultés, d'élaborer une proposition sur la façon d'augmenter les dramatiques tunisiennes à la télévision, de développer des options et des propositions pour créer de nouveaux incitatifs et un environnement renouvelé qui seraient favorables aux feuilletons tunisiens.