Suite à la visite officielle d'une délégation du Fonds monétaire international (FMI) effectuée en Tunisie les 24 et 25 mars 2022, les responsables gouvernementaux, les économistes et les financiers tunisiens réagissent. La visite qui vient d'être effectuée en Tunisie, les 24 et 25 mars 2022, par une délégation du Fonds Monétaire International (FMI), avait porté sur l'éventuel nouveau programme de prêt qui pourrait être accordé à la Tunisie. Ce prêt devrait s'élever à 4 milliards de dollars, soit l'équivalent de 12 milliards de dinars. «Cet accord avec le FMI est indispensable pour la Tunisie», selon les propos de la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemssia, qui exprime son vœu d'aboutir à un compromis avec le Fonds. Selon elle, «le Fonds considère que les réformes proposées par le gouvernement sont sérieuses. Le gouvernement tiendra une réunion avec les parties sociales concernant les pourparlers avec le FMI». Samir Saied, ministre de l'Economie et de la Planification, déclare que «les réformes proposées au FMI vont dans l'intérêt de l'économie tunisienne». La volonté est-elle là ? De son côté, l'économiste, Moez Hadidane, affirme que le gouvernement peut aboutir à un accord avec le Fonds, «s'il y a la volonté de résister aux pressions sociales». D'après ses propos : «La Tunisie n'a qu'un seul choix, c'est de recourir aux prêts du FMI, dont le rôle est d'aider les pays qui font face à des difficultés». Néanmoins, il considère que le discours de Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'Ugtt, pourrait présenter un obstacle à la conclusion de l'accord entre le gouvernement et le FMI. La mise en place des réformes dans les entreprises publiques «ne se fera qu'en motivant les salariés, selon le niveau de productivité. Sinon, ces établissements obèrent les ressources de l'Etat», selon Hadidane. D'après ses affirmations, le FMI veut aider la Tunisie et recommande des réformes dans le secteur public afin que «l'Etat puisse faire face à un transfert estimé à cinq milliards chaque année pour aider ces institutions. Si l'Ugtt veut nous introduire dans un système politique qui a échoué depuis les années 1990, c'est une autre affaire». L'expert rappelle que le Fonds a déjà demandé aux gouvernements précédents la mise en place de réformes nécessaires, «mais rien n'a été réalisé». Selon lui, la situation s'aggravera davantage et «le bateau coulera si la Tunisie ne conclut pas un accord avec le FMI». Pour sa part, l'économiste Ezzeddine Saïdane déclare, lors d'une interview accordée à un site électronique, que «le FMI est conscient de toutes les précautions de l'Ugtt concernant l'ensemble des conditions qu'il a présentées au gouvernement». Ces précautions relatives aux conditions du FMI ont été abordées lors des pourparlers à distance avec le FMI en février dernier. «Une grande question a été soulevée sur les déclarations du gouvernement à l'époque, qui ont confirmé de grands progrès dans les négociations avec le FMI. Or, en marge de la dernière réunion entre l'Ugtt et le FMI, il a été constaté exactement l'opposé». Entre 3 et 5 mois pour parvenir à un accord Selon Saïdane, «le FMI n'a pas stipulé, par écrit, les conditions de l'accord. Tout a été seulement fait dans le cadre d'entretiens oraux. Cela indique que le FMI a commis une erreur envers la Tunisie, lorsqu'il a fixé le syndicat en tant partie décisive ou obstacle aux négociations et le fait de lui donner le droit de veto». Il estime que les choses se sont maintenant compliquées, et c'est ce qui fait douter de la possibilité d'entamer des négociations. «...Une fois les négociations lancées pour que la Tunisie obtienne un financement du FMI, et si le processus démarrait effectivement, il faudrait 3 à 5 mois à la Tunisie pour parvenir à un accord». Saïdane estime que les choses se sont encore davantage compliquées après le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. «Les besoins de la Tunisie ont augmenté, en raison de la hausse du prix du baril de pétrole, de la hausse du prix des céréales. Cette guerre impacte également la saison touristique». Pour l'universitaire Mokhtar Lamari, «le FMI a, depuis 2016-2017, formulé ces réformes de concert avec des ministres et gouvernements issus de la coalition Ennhadha-Nidaa. Après une période de froid, le FMI renoue avec les négociations avec la Tunisie, sachant que cet organisme n'aime pas la procrastination et souhaite que la Tunisie s'engage réellement sur la voie des réformes économiques». Lamari a examiné toutes les lettres d'intentions signées par la Tunisie et envoyées au FMI, les cinq dernières années. Il affirme que'«une dizaine de réformes économiques ont été promises officiellement au FMI. Ces dernières n'ont jamais été menées à terme entièrement, puisque mal conçues, mal calibrées et impossibles à implanter comme telles, dans le contexte d'instabilité gouvernementale». Instabilité politique et conflits internes Pour lui, «ces réformes sont plus faciles à dire qu'à faire. Les réformes économiques sont peu documentées en termes d'impacts ex ante. Des réformes totalement absentes des programmes électoraux des partis politiques au pouvoir. Durant les cinq dernières années, le FMI a joué le jeu pour prêter, espérant que la Tunisie démocratique retrouve sa raison et que ses partis politiques se ressaisissent de façon digne, honnête pour entreprendre des réformes économiques devenues incontournables». Lamari estime que «le nouveau gouvernement présidé par Nejla Bouden a des chances de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Depuis son investiture, l'actuel gouvernement travaille d'arrache-pied pour restaurer la confiance des partenaires internationaux de la Tunisie. Plusieurs contacts fructueux ont été faits avec plusieurs pays arabes capables de venir en aide... Mais tous ces partenaires insistent pour que des réformes économiques doivent être menées, dans les plus brefs délais, car rien ne peut se faire sans un accord avec le FMI et un plan de réformes, assorties d'objectifs à atteindre et un calendrier précis, pour échelonner les aides aux niveaux d'implantations des réformes convenues. La Tunisie est capable de se retrousser les manches pour réformer son économie et son imposant appareil administratif. Le gouvernement Bouden doit communiquer, mobiliser et convaincre au sujet du caractère incontournable des réformes à engager, et qui attendent depuis 2013, depuis les premiers contacts avec le FMI durant l'ère post-2011. L'équipe de négociations avec le FMI doit être appuyée par des études économétriques approfondies, et faisant appel à des compétences reconnues et crédibles... La Tunisie compte des compétences mondialement reconnues, et surtout des compétences honnêtes et capables d'élaborer ce bilan sommatif qui peut crever l'abcès de la mal-gouvernance et tirer les leçons de ces échecs à répétition. Et surtout pour se réformer... et faire mieux !». «Compte tenu de l'instabilité politique et des conflits internes, le FMI ne pourra s'engager dans aucun nouveau programme» estime l'expert en économie Moez Joudi. Selon ses propos, «les mois à venir seront vraiment très difficiles au niveau des finances publiques». Il considère que le gouvernement a épuisé «toutes les solutions et les acrobaties possibles». Il assure que la Tunisie entre dans une phase très sensible, «notre pays est en train de perdre son potentiel et ses acquis», atteste Joudi. Et d'ajouter : «Il est malheureux de constater aussi que, sur le plan international, notre pays n'est plus qu'un dossier dans les tiroirs des sous-officines occidentales, notre sort reste tributaire des plans, des considérations et des orientations des puissances étrangères dans la région».