Proscrit par les codes et les régimes car criant sa révolte contre la domination et dénonçant la répression et les exactions des tyrans, il aura été le plus incisif, le plus corrosif des poètes tunisiens des temps modernes. Ses poèmes furent un baume dans la grande détresse pour une jeunesse brimée et désorientée. La Tunisie perd avec lui un grand poète. La Tunisie le pleure. Ouled Ahmed, c'est toute une histoire. Un homme capable de s'amouracher plus vite que la lumière, se mettre très en colère, être généreux jusqu'à se dépouiller de ce qu'il a ou n'a pas, croire et suivre le premier venu qui lui propose de monter dans les étoiles... Sans lui la vie littéraire ne sera plus la même...Tunis ne sera plus la même, car il lui apportait ce côté insolite, surprenant, étonnant et savant... Hier, la maladie a fini par emporter Ouled Ahmed. Une voix belle, rebelle et engagée. Un poète proscrit par les codes et les régimes car criant sa révolte contre la domination et dénonçant la répression et l'exaction des tyrans. Ses derniers poèmes, composés après l'avènement du « printemps arabe », apportent la preuve qu'il s'agit d'un artiste engagé et pour qui il n'y a pas de bourreaux privilégiés, même au nom de la révolution. C'est pour cela que sous la Troïka, il deviendra l'acteur culturel le plus redouté et composera des poèmes très critiques à l'égard des responsables. Une insolence qui lui vaudra plusieurs menaces de mort de la part des takfiristes. Incisif Mais Ouled Ahmed a toujours été courageux et téméraire même. En effet, depuis la publication de son premier poème « Le cantique des six jours », censuré en 1984, jusqu'au crépuscule de sa vie, il aura été le plus incisif, le plus corrosif des poètes tunisiens des temps modernes. Maintes fois chassé de son emploi, tout le temps épié, harcelé, malmené, Sghaïer Ouled Ahmed était l'éternel incompris. Tous les régimes ont cherché à l'amadouer, mais finiront vite par le rebuter. « Seul le papier pouvait me supporter », dit-il. Ce pourfendeur des despotes, des impérialistes et des conquérants avait le verbe comme arme de destruction massive. La parole était son glaive de tous les temps. Sa poésie, écrite en arabe littéraire, n'est pas juste rigide, immobile, coincée dans les vers ou rimes, mais vivante, animée, pleine d'harmonie. Ses poèmes se confondent avec les grandes heures des grands combats sociopolitiques en Tunisie et dans le monde arabe. Il y a traduit en vers les blessures et les humiliations du petit peuple, les dérives et les errements politiques et dogmatiques. En accumulant les blessures, la souffrance et l'humiliation, il a su dompter la mélancolie. Il l'a apprivoisée. En revisitant l'amitié, l'amour, la souffrance, les songes, les illusions ou même le bonheur, Ouled Ahmed redessinait par sa poésie sa propre cartographie. Son passage au département de psychologie à la faculté de Reims fera de lui un poète qui fouine dans les pensées, sonde les arcanes et donne du sens aux maux par les mots. Dans ses moments de liberté retrouvée, il tournait délicatement et sans bruit les plis et remuait les plaies des sociétés arabes. Tout en gravité, il sondait leurs tréfonds politiques. Ouhoubbou El Bilad (J'aime mon pays), Ilahi (Seigneur), Nisaou Biladi (Les femmes de mon pays), Layssa li Mouchkila (Je n'ai pas de problème), Nachid El Ayyem Essetta (Cantique des six jours) et tant d'autres poèmes et textes en prose graveront à jamais la mémoire de ce poète d'exception. En effet, pénétrante et profonde, la musicalité de ses vers entonnés dans un arabe littéraire bien propre à lui exalte et jette dans un monde de contemplation et de méditation ceux qui savent l'apprécier. Ses paroles révoltés contre le système, les systèmes, nous font découvrir les cris des frustrés, les douleurs d'un peuple tyrannisé, les soupirs et lamentations des autres préjudiciés, l'indignation et la résistance des rebelles érudits. Il avait besoin d'une liberté plus grande que la liberté, d'une émotivité plus fine que la sensibilité. Grâce à la force de sa plume et à la magnificence de ses poèmes, chacun de ses écrits provoquait l'émerveillement. Avec son départ, la Tunisie perd un grand poète.