L'Etat est-il en train de recouvrer son utorité et de mettre fin aux débordements et aux épassements qui sont devenus le pain quotidien des Tunisiens ? On pose la question en attendant une réponse définitive Khaled Chaouket, le ministre porte-parole du gouvernement, n'y va pas par quatre chemins pour déclarer : «Le gouvernement est plus que jamais décidé à faire respecter la liberté du travail, à empêcher les sit-inneurs de semer la pagaille au sein des entreprises publiques ou privées au risque de les faire couler, et à restaurer l'autorité de l'Etat, quitte à arrêter les meneurs et à les traduire en justice». Le porte-parole du gouvernement parlait, jeudi, des développements qui ont accompagné la levée du sit-in, suite à l'intervention des forces de sécurité, observé, depuis des semaines, devant la société Petrofac à Kerkennah. Ces développements ont abouti, notamment, à l'arrestation de quatre jeunes protestataires, ce qui a provoqué une colère générale dans l'île, puisque les manifestations et les marches demandant leur libération immédiate se sont multipliées tout au long de la journée du mercredi 6 avril. Et la centrale syndicale ouvrière de s'inviter au débat, opposant ceux qui soutiennent l'intervention sécuritaire au nom du droit au travail et ceux qui y voient un retour aux anciennes pratiques qu'on croyait révolues à jamais. Hier, l'Ugtt a rendu public un communiqué dans lequel elle appelle le gouvernement «à libérer les protestataires arrêtés à Kerkennah, à ouvrir un dialogue avec les manifestants et les composantes de la société civile afin de faire sortir l'île de son isolement et de rompre avec la politique de marginalisation». Le communiqué de l'Ugtt n'oublie pas la situation de tension régnant depuis des mois au sein de l'hôpital universitaire Habib-Bourguiba à Sfax. Les syndicalistes dénoncent «la politique de fuite en avant du ministre de la Santé, Saïd Aïdi, dans le traitement de ce dossier» et ils sollicitent l'intervention du chef du gouvernement pour «mettre en œuvre les accords conclus au sujet de l'hôpital» en question. La démarche choisie par l'Ugtt pour débloquer les crises qui opposent ses structures régionales aux autorités est désormais la suivante : on laisse les syndicalistes des régions ou des secteurs agir comme bon leur semble sous le prétexte qu'elles sont souveraines et qu'elles connaissent mieux que la direction centrale les dossiers de leurs régions ou de leurs secteurs, et quand le dialogue est bloqué, les membres du bureau exécutif multiplient les appels à la médiation du chef du gouvernement, au président de l'Assemblée des représentants du peuple et au président de la République. Et cette tactique s'est révélée payante à plusieurs reprises. Le dernier succès réalisé par l'Ugtt est l'abandon ces derniers jours par le ministère des Affaires sociales de la clause sur le caractère obligatoire du relèvement de l'âge de départ à la retraite pour les salariés de la Fonction publique. Désormais, les salariés ayant atteint l'âge de départ à la retraite auront à choisir librement entre prolonger leur présence au sein des administrations et établissements publics de deux à cinq ans (62 ou 65 ans) et faire valoir leurs droits à une retraite amplement méritée. Un autre acquis consolidé : les propos évoqués par le ministre des Affaires sociales sur la possibilité de revoir le système de décompte des pensions des retraités ne sont plus qu'un mauvais souvenir, dans la mesure où il a été décidé que rien ne changera en la matière et que tous les avantages prévus dans la législation en vigueur seront maintenus. Quand la loi s'applique à tout le monde Sauf que les désirs ou les ordres de l'Ugtt ne sont plus appliqués automatiquement par les autorités même s'ils sont appuyés par «les conseils amicaux et désintéressés» de certaines parties qui cherchent les compromis à tout prix. Hier, les forces sécuritaires sont intervenues au sein de l'hôpital universitaire Habib-Bourguiba à Sfax pour permettre au directeur général, Chokri Tounsi, contesté par les syndicalistes, d'accéder à son bureau et d'exercer la mission pour laquelle il a été nommé. S'agit-il d'un changement de position radicale annonçant que le gouvernement a décidé de ne plus subir la pression des syndicalistes ou leur diktat à l'instar de celui exercé par certaines formations syndicales sécuritaires qui multiplient les actions de protestation et investissent quotidiennement les plateaux TV et studios radio, exigeant que les revendications de leurs adhérents soient satisfaites immédiatement et à tout prix même si la justice s'est déjà prononcée sur ces mêmes demandes et a débouté les plaignants. Hier, les policiers révoqués pour des motifs disciplinaires (aux époques de Ben Ali et de la Troïka) rassemblés devant le siège du ministère de l'Intérieur ont été dispersés par les forces de l'ordre et interdits de scander les slogans qu'ils allaient lancer. Pour information, ils demandent la révision de leur limogeage et dénoncent «la politique de deux poids, deux mesures appliquées par le ministère dans la mesure où on sélectionne injustement les policiers qui sont réintégrés», soulignent-ils. Reste à savoir comment les acteurs du paysage politique et civil vont réagir à l'arrestation des protestataires à Kerkennah, au retour à son bureau du directeur général de l'hôpital Habib-Bourguiba à Sfax et au sifflement de la fin de la récréation à l'adresse des policiers révoqués ?