Quelqu'un a écrit un jour que l'humanité ne se pose jamais que les problèmes qu'elle peut résoudre. Ce n'est pas toujours évident. Parfois, on préfère l'ombre à la proie et les dérivatifs à l'essentiel. Reconnaissons-le, osons le concéder. Notre atmosphère politique est viciée, voire pourrie. Les réformes tant attendues tardent à venir. Les protagonistes s'abîment dans d'infinies passes d'armes, nourries de préventions, d'esprit de clocher, de particularismes, de coteries non avouées. Et cela donne le désolant spectacle de la guerre de tous contre tous. En premier lieu, il y a la crise des partis. Majorité et opposition sont aux prises avec les démons de la désunion, des scissions et des partis pris aveugles. Nida Tounès s'est scindé en deux partis. Et une majorité de non-alignés. Ennahdha négocie âprement le tournant de son futur congrès. L'Union patriotique libre compte des défections en masse et des maintiens en pointillés. Les larmes publiques de son dirigeant, Slim Riahi, n'y peuvent guère. Le mouvement Afek fait du surplace. Quoique non ostentatoires, ses tiraillements n'en sont pas moins effectifs. Côté opposition, on n'est guère logé à meilleure enseigne. D'abord, c'est qui l'opposition ? Le Front populaire, le bloc social-démocratique, les rares indépendants ? On n'est pas bien renseigné sur une entité supposée être effective et devant même assumer des rôles consentis par la Constitution. Cependant tout ce beau monde se meut dans un no man's land politique mouvant et changeant au gré des jours. Côté institutions, c'est le même topo ou presque. Le système des trois présidences (présidence de la République, gouvernement et Parlement) prouve chaque jour sa faiblesse structurelle. Preuves par l'absurde le plus souvent. La crise des partis déborde sur les institutions, les empreint, les emporte dans son tourbillon vicieux. On vit même des séquences à peine voilées d'une guerre de tranchées au sommet de l'Etat. Le système est trop personnalisé. Non pas à la tête du client, mais à la mesure du chef présumé. Et chaque chef se prend pour le nombril du système. Et l'on se tire dessus à boulets rouges au besoin. Le chef du gouvernement est supposé être l'homme fort des plus grandes prérogatives institutionnelles. La faiblesse voire l'inconsistance du gouvernement de Habib Essid en fait un protagoniste déficient, sinon marginal par moments. Le président de la République redouble d'initiatives qui ne sont guère dans ses domaines assigné ou réservé. Le Parlement se confine dans un statut de lieu d'éternelles palabres et passes d'armes partisanes. On l'a bien reconnu. Nous vivons, nous aussi, en partitocratie. Au même titre que l'Italie aux pires moments de son instabilité politique d'après-guerre. Ici et là, on a adopté un système parlementaire hybride reposant sur d'éternelles négociations sur fond d'équilibres catastrophiques. Ajoutons-y la veulerie légendaire d'une bourgeoisie qui n'en est pas une, et l'interférence de forces occultes et mafieuses dans la chose publique, et la boucle est bouclée. Lorsque certaines voix s'élèvent pour réclamer la révision de la Constitution, on crie aux loups. Avec les loups. Décidément, une certaine bureaucratie partisane semble profiter des méandres du système. Et y trouver son blé et sa choucroute. Et cela vaut tant pour la majorité que pour l'opposition, ou ce qui en reste. Les fiefs de la féodalité politique tiennent plus à cœur semble-t-il que les institutions démocratiques. Rappelons-le, le système seigneurial était le principe d'organisation de la société médiévale, considérée sous l'angle de la répartition de la terre entre les seigneurs et l'émiettement politique et social qui en résultait. Suivez mon regard.