Il est temps de renverser la vapeur. Cela pourrait être le fait d'un aréopage de bons juristes épaulés par de fins connaisseurs des arcanes de la politique. Leur indépendance vis-à-vis des partis est primordiale. Leur tâche consistera à diagnostiquer l'existant et proposer des réformes constitutionnelles salvatrices. Et surtout garantes du plein jeu des institutions par-delà les desseins inavoués des partis et des coteries Il faut se fier aux évidences. L'actuel système politique tunisien est le pire qu'on puisse choisir dans la phase historique qu'est la nôtre. Il se résume en un parlementarisme hybride qui fonde un impuissant équilibre catastrophique. Les constituants ont taillé le système à l'aune des partis politiques. Du coup, la crise structurelle qui secoue les principaux partis de la place s'avère particulièrement paralysante tant pour les institutions que pour le gouvernement. Témoin, la crise du principal parti de la majorité gouvernementale quadripartite, Nida Tounès. Des mois durant, le gouvernement de Habib Essid s'est trouvé paralysé, certains de ses ministres ayant joué les premiers violons dans le concert des scissions. Le processus des réformes fait toujours du surplace, se confinant en de mièvres déclarations d'intentions. Et rien d'autre. Le Parlement n'est guère en reste. Les 86 députés de Nida se sont scindés en deux blocs parlementaires distincts et qui se regardent en chiens de faïence. Du coup, Ennahdha se retrouve le parti majoritaire de l'Assemblée. Bien pis, un tas de projets de lois traînent encore dans les tiroirs, livrés à la critique rongeuse des souris. Le Code électoral et le Code des impôts municipaux et locaux n'ont même pas été discutés en commissions. Des institutions telles que le Conseil supérieur de la magistrature, la Cour constitutionnelle ou la Haute autorité de l'audiovisuel n'ont pas encore vu le jour. Des structures provisoires continuent de sévir, parfois en porte-à-faux des dispositions constitutionnelles. Et le processus de création des nouvelles municipalités (désormais 329 au lieu des 264 auparavant) n'avance pas au rythme souhaité. C'est dire que, un peu partout, l'apathie et la sclérose l'emportent. Ajoutons-y l'administration défaillante sur toute la ligne, la boucle du cercle vicieux est bouclée. Dans ce topo peu reluisant, seule la présidence de la République s'en tire tant bien que mal. Disons qu'elle pose le moins de problèmes. Le président de la République est le chef de l'Etat et il est élu au suffrage universel. Mais ses prérogatives législatives et économiques sont limitées. L'homme fort du système est supposé être le chef du gouvernement. Mais son inconsistance économique et sociale surtout n'en finit pas de déconcerter. La coalition gouvernementale quadripartite est davantage soucieuse d'accaparer les dignités des portefeuilles que du travail d'équipe proprement dit. Morale de l'histoire, il est utile de réformer le système de fond en comble. La partitocratie qui sévit segmente l'autorité en fiefs féodaux. L'action gouvernementale en est profondément affectée. Et pourtant, cela semble le dernier des soucis des politiciens de la place. Certains se préparent déjà à fonder de nouvelles formations politiques, pour monter — ou remonter — à l'assaut du pouvoir. Au risque d'en rajouter à la cacophonie de fait. Il est temps de renverser la vapeur. Cela pourrait être le fait d'un aréopage de bons juristes épaulés par de fins connaisseurs des arcanes de la politique. Leur indépendance vis-à-vis des partis est primordiale. Leur tâche consistera à diagnostiquer l'existant et proposer des réformes constitutionnelles salvatrices. Et surtout garantes du plein jeu des institutions, par-delà les desseins inavoués des partis et des coteries. Le surinvestissement politique observé jusqu'ici a débouché sur la marginalisation de la vocation forcément économique et régulatrice sociale de l'Etat. Le pays tangue comme un bateau ivre. Sans timonier, et surtout sans feuille de route ou projet.