Apparemment, les Nuits d'El Abdellia ont encore du mal à intéresser le public. L'espace ne manque pourtant pas d'attrait et le beau palais beylical vante déjà une assez longue tradition de concert. Les affiches proposées ont aussi de quoi séduire, pas de grands noms en général (raison de budget), mais des pointures, solistes, chanteurs ou musiciens, somme toute, d'un bon niveau. Sont-ce les tâtonnements des débuts : on n'en est qu'aux toutes premières éditions ? Est-ce un problème de calendrier, les Nuits intervenant juste après une «saôulerie» de festivals d'été et au beau milieu d'un pullulement de soirées ramadanesques? Possible. Il va falloir y réfléchir en tout cas. Chahrazad Hellal était au programme, ce mardi 24. Excellente voix et chanteuse de haute formation musicale, malheureusement, très peu de spectateurs étaient au rendez-vous. Regret, certes, que des artistes de la nouvelle génération, celle des années 2000, ne se taillent toujours pas une audience à la mesure de leur talent, qu'ils soient, ainsi, cantonnés dans un presque anonymat (on songe aussi à Rihab Sghaïer, à Mahrezia Ettouil, à Hassan Dahmani), la situation, néanmoins, ne s'explique pas que par «l'incompréhension» du public ou par la «négligence» des médias. Ces jeunes artistes y sont eux-mêmes pour beaucoup. Force est de le reconnaître. Premier reproche : des choix artistiques hésitants, la plupart n'ont pas de vraies stratégies de carrière. Révélés dans l'interprétation des grandes œuvres classiques égyptiennes et tunisiennes, ils s'en contentent souvent et tardent à se forger un répertoire personnel. Et s'ils s'y essayent, ce n'est que par à-coups, et rarement dans un souci de qualité. Second reproche : un manque de conviction et de persévérance. Quand on part d'aussi bonnes bases vocales, quand, de surcroît, on a été formé à si bonne école, on doit être conscient de ses atouts, s'armer de confiance, se maintenir à son niveau réel. On doit surtout éviter de céder à la tentation des musiques faciles et des médiatisations surfaites. Les meilleurs tiennent tête et finissent toujours par imposer leur label. On a des modèles parmi les générations précédentes, bien dommage que les nouveaux venus ne pensent pas à suivre leur exemple. Vite fait, mal fait Le cas de Chahrazed Hellal paraît en être l'illustration typique. Une décennie d'exercice maintenant, à même l'élite peut-on dire, mais pratiquement pas d'avancée. Unique «réaction» en 2009 avec une esquisse de répertoire. «Contre nature», cependant : des airs dansants et des «textes» à la limite du trivial. En deçà, bien en deçà de ce qu'elle vaut. Le concert de mardi soir à «El Abdellia» était une autre tentative. Du chant spirituel cette fois-ci, comme une sorte de rachat, à l'exact opposé. L'effort est à souligner, soit, mais le contenu ? Mais le résultat ? A dire vrai, si le chant est resté plaisant, performant, dans la lignée même des grandes voix, si les reprises de chefs-d'œuvre du genre de Oum Kalthoum, Yassmine El Khayam, Souad Mohamed, etc., ont été réussies, les trois ou quatre nouvelles créations proposées n'ont pas impressionné. Outre mesure. «Collage», «plaquage» c'était la sensation dominante. Du phrasé mélodico-rythmique qui eut tout aussi bien convenu à de la chanson sentimentale courante. Versatilité par ailleurs: une «gharnati jadd» algéroise, un peu frénétique, un succès de Rabah Diriassa, plutôt poème d'amour, et un autre de Laure Daccache, à peu près de la même veine. Un concert qui a la prétention d'être spirituel ne s'organise pas dans l'éclectisme, encore moins avec cette tenue de scène, et cette légèreté de l'expression et du geste visibles tant chez la soliste-chanteuse elle-même (des contractions inappropriées) que parmi les membres de l'orchestre (rieurs à souhait). Du travail vite fait, trop vite fait. Pas de ceux qui font progresser un artiste, fût-il doué. Pour Chahrazed Hellal, le chemin de la réussite semble encore long.