Chanteuses et chanteurs tunisiens se succèdent aux «Nuits de Carthage» en l'absence quasi totale de public. Dimanche soir, c'était le tour de la pourtant excellente Chahrazed Hellal. A peine quatre ou cinq rangées de spectateurs sur la terrasse d'Ennejma Ezzahra. Et encore, ce n'était, semblait-il, que des inconditionnels et autres fans ou proches de l'artiste. La rareté du public n'a pas forcément de lien avec la qualité d'un concert. Mais elle pèse sûrement sur le moral des musiciens. Surtout sur le moral de Chahrazed Hellal qui s'échine, depuis trois à quatre saisons, à quitter l'anonymat pour tenter de conquérir une audience et se frayer une place parmi le gotha de la chanson. La tentative se traduit, jusqu'ici, par la production d'un album, l'ébauche d'un répertoire personnel, et une présence plus ou moins assidue dans les médias et les festivals. A ce jour, on ne peut pas dire que cela a donné ses fruits. Le marché ne répond pas. Les auditoires non plus. Une chose est sûre, ce n'est pas faute de talent. Chahrazed Hellal est une voix distinguée et une interprète de haut niveau. Si «la feuille de route» ne prend pas, c'est sans doute dû à des raisons autres qu'artistiques. Peut-être à un manque de charisme. Peut-être aussi à un manque de dosage : Chahrazed Hellal paraît avoir du mal à trouver le juste équilibre entre sa nature de chanteuse classique et les «postures» de vedette qu'elle croit utile de s'imposer. Difficile de «changer de peau». De passer de la rigueur du chant aux extraversions de la scène. En ce qui nous concerne, nous préférons toujours la chanteuse classique (la graine de cantatrice) à la star improbable. Mais, enfin, c'est le pari de l'artiste. Elle y tient. A elle de l'assumer. Moments et chants Mais revenons à la soirée. On n'a pas eu à s'en plaindre. Bien au contraire, on a eu droit à de belles chansons et à de bons moments de chants. Côté répertoire, Jad Ezzaman (Ali Ouertani-Guelmani), savoureux zankoula, jharka-hijaz s'est décidément bonifiée avec le temps. Preuve, encore une fois, qu'il faut laisser mûrir les chansons qui ne nous captent pas de prime abord. Si elles sont foncièrement bonnes, si elles sont bien écrites, bien dites, elles séduiront tôt ou tard nos écoutes. Même observation pour Ma adhlamak de Ridha Chmak, mélodie racée où Chahrazed Hellal eût des envolées frémissantes dans un couplet bayati aigu. On a moins apprécié les nouvelles : Touness ya fakhr el arab (texte simpliste), El watan yabni de Jlidi Laouini et Guelmani (musique compliquée). Les compositions de Chahrazed Hellal, non plus Tabdaâ el amjed minna, décalage gênant entre une sorte de rûmba accélérée et un poème en arabe littéral n'avaient pas de quoi retenir. Côté reprises, Rajïne ya hawa de Faïrouz et Dour ya kalam (dont on n'a pas reconnu les auteurs) étaient délices dans la voix de Chahrazed Hellal. Ce qui ne fut pas le cas de El albi yaâchek de Oum Kalthoum, chantée en ouverture, avec quelques stridences et de légères failles de prononciation (les voyelles arabes, Mim et aâ, doivent toujours être amplifiées, autrement ça «chevrote»). Mais on ne le répétera jamais assez‑: écouter Chahrazed Hellal est un pur plaisir. Cette voix a, outre le background (le savoir, les bases et les références du chant arabe), un «fluet» rare, modulé, coloré, inspiré, avec un discret voile qui ajoute à sa séduction et à notre émotion. Le fluet est un registre somptueux, quand il ne craint pas l'étendue, quand il a, comme chez Chahrazed Hellal, la douceur veloutée du plus fin des médiums. Une chanteuse d'élite, une valeur sûre. Carrière de star ou pas, rappelons-nous en.