Bien que l'on enregistre, actuellement, une certaine accalmie, les protestations sociales qui avaient, ces derniers jours, déstabilisé tout le pays n'ont pas été satisfaites. Face au silence du gouvernement et son incapacité manifeste à aplanir toutes les difficultés liées à l'emploi et au développement, il y a risque de voir cette vague de colère revendicative reprendre de plus belle. S'agit-il du calme qui précède la tempête ? De toute façon, un bon nombre d'activistes sur la scène nationale ont tenu, hier matin à Tunis, une conférence de presse pour annoncer la naissance d'une large coalition civile de soutien à la mouvance sociale dont la légitimité ne peut être contestée. Ainsi, formée d'une trentaine d'associations, elle s'organise, à l'unisson, au sein d'une coordination de défense des droits des jeunes sans emploi et ceux des régions en marge du développement. D'ailleurs, dans un communiqué commun, les signataires viennent de lancer un « appel à la solidarité internationale avec les oubliés de la révolution tunisienne ». «Nous allons agir pour la bonne cause, à même de soutenir les manifestations pacifiques des jeunes protestataires dans les différentes régions.. », déclare, par la même occasion, Me Abdessatar Ben Moussa, président de la Ltdh. Il n'y va pas quatre chemins pour préconiser une dynamique de dialogue à l'échelle des régions, l'ultime but étant d'être à l'écoute des jeunes et de faire en sorte que leurs demandes soient acceptées. Et de rappeler encore, « dans une récente rencontre avec le chef du gouvernement, Habib Essid, on lui a, déjà, soufflé cette idée, laquelle n'a pas été, jusqu'ici, suivie d'effet.. ». Toutefois, il ne s'agit plus d'engager le dialogue pour lui-même, mais, plutôt, comme voie de négociation vers la résolution des problèmes posés. Force de pression et de proposition Pour lui, la transition démocratique n'aboutira jamais, sans être accompagnée par une révolution sociale et économique qui fait de la jeunesse une véritable force motrice d'action. Animé de bonne volonté pour aller de l'avant jusqu'à satisfaction des revendications, ce collectif associatif s'est montré unanime autour d'un nécessaire accompagnement des jeunes manifestants. Force de proposition, il a juré de mettre la pression sur le gouvernement. Mais, une telle politique de fuite en avant ne pourra plus continuer, ainsi réplique M. Maher Hnine, militant au sein du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes). De même, la situation des sans-emploi et du développement régional, ne peut plus attendre. C'est que les pouvoirs publics demeurent déconnectés de la réalité, faisant la sourde oreille, sans tenir compte d'une éventuelle escalade, cette fois-ci plus coûteuse. En témoigne, déjà, la dernière insurrection des Kasserinois, suivie, d'ailleurs, par un tollé général à Kerkennah et au Kef. A défaut d'une correcte communication gouvernementale, tout le pays a failli s'embraser. Et pour cause. M. Hnine a voulu passer trois messages clés : la liberté de l'espace public bel et bien conquis à la faveur d'une révolution libératrice (manifestations, droit d'expression..), être aux côtés des manifestants pour qu'ils puissent faire entendre leur voix et la position de l'opinion publique nationale à l'égard de la répression des mouvements sociaux. D'ici fin mai prochain, une rencontre associative élargie aura lieu, afin de réfléchir sur les alternatives possibles aux problèmes du chômage et au développement manquant. Crise de confiance Intervenant au nom de l'Afturd-Tunisie, l'ex-présidente de l'association des magistrats tunisiens, Mme Kalthoum Kannou, s'est focalisée sur les récents événements survenus à Kerkennah. Elle a fait montre que le problème remonte bien avant la révolution. Sa genèse est due, au cours de 2010, au mécontentement des marins-pêcheurs de la région contre la compagnie pétrolière « Petrofac », l'accusant, à l'époque, d'être responsable de la pollution de la mer. En vertu d'un accord conclu, ladite société s'est engagée à accorder à des jeunes chômeurs, au nombre de 265, une prime « Amal » jusqu'à leur intégration dans sa filiale opérant dans l'environnement. En vain. Cette prime n'a pas continué à être versée aux bénéficiaires qui ont décidé de revenir à la charge. Et voilà, poursuit-elle, que surgit une nouvelle vague de protestations et de colère, brutalement réprimée par une force policière déployée sur les lieux. Mais, s'interroge Mme Kannou, fallait-il attendre 70 jours pour que le gouvernement réagisse de la sorte ? Le vrai problème réside, plutôt, dans le déficit de communication dont il fait preuve, déplore-t-elle. Et de conclure : «Au lieu de penser à la solution, le gouvernement Essid s'est empressé d'user de la force contre des manifestations pacifiques». M. Rami Salhi, président du Réseau Euromed des droits de l'Homme à Tunis, qualifie pareille intervention policière d'échec de négociations, voire une crise de confiance entre le gouvernement et ses citoyens. Et de révéler que la majorité des mesures entreprises ont déjà profité aux hommes d'affaires, laissant les ayant droits livrés à eux-mêmes. «A cause de telles procédures tant arbitraires qu'improvisées, le gouvernement en place doit assumer toutes ses responsabilités », conclut-il, soulignant qu'il est temps de reconnaître les droits légitimes des jeunes protestataires, sans tomber dans l'anarchie. « Il semble que le gouvernement n'a pas appris la leçon, en allusion aux mouvements sociaux précédents », assène le président du Ftdes, M. Abderrahmane Hedhili. Revenant sur les questions des disparus en mer, des ouvriers des chantiers, la révolte de Kasserine jusqu'aux événements de Ben Guardane, il n'a pas mâché ses mots pour dénoncer la manière de traiter avec ces dossiers des plus brûlants. « Afin d'éviter le pire, il n'y a plus des choix que le dialogue », ainsi s'exprime-t-il.