Les revendications populaires se résument à l'emploi et à une vie digne. Après des années de promesses, la patience s'est transformée en une «intifadha» de l'emploi. Du côté des autorités, des mesures annoncées à la hâte et une mise en garde contre l'infiltration des terroristes parmi les manifestants Les partisans de l'Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) ont observé, hier, une marche pacifique qui a démarré devant le siège de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) à la Place Mohamed-Ali à Tunis pour revendiquer le droit au travail et soutenir les régions qui observent des mouvements de protestation pour bénéficier de ce droit. Les manifestants, qui se sont dirigés vers l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis, ont scandé des slogans appelant à la chute du régime, revendiquant le droit à l'emploi et dénonçant la prolifération de la corruption. Majdi El Ghali, un des manifestants, a déclaré à l'agence TAP qu'il a observé une grève de la faim pendant environ un mois pour revendiquer son droit au travail. Il a souligné que les manifestations se poursuivront quotidiennement à l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis en signe de solidarité avec les autres régions du pays et pour protester contre les dernières décisions prises par le gouvernement qui sont, a-t-il dit, inefficaces et ne peuvent pas résoudre les problèmes du chômage, de pauvreté et de marginalisation dans les régions intérieures. Cette marche prend le relais aux manifestations, parfois violentes, qui secouent, depuis quelques jours, plusieurs régions intérieures du pays et dont la première a éclaté à Kasserine, suite à la mort tragique du jeune Ridha Yahyaoui, électrocuté par un poteau de la Steg, lors d'un sit-in de contestation des résultats de l'opération de recrutement de 80 personnes par le ministère de l'Education. Sept jeunes n'avaient pas été retenus parmi les nouvelles recrues dont le défunt Ridha Yahyaoui. Cet accident tragique a mis le feu aux poudres dans une région où le mécontentement est en train d'enfler d'une année à l'autre, en raison de l'immobilisme des gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution, de l'augmentation du chômage et de la dégradation de la situation économique et sociale, à l'échelle de Kasserine et de toutes les régions défavorisées du pays. Le mouvement de protestations s'est, de ce fait, propagé pour toucher la plupart des gouvernorats, y compris celui de Tunis, au point de se transformer en quelque sorte en une «intifadha» pour l'emploi. Mise en garde La série des mesures annoncées mercredi dernier à la suite d'une réunion convoquée dans l'urgence à La Kasbah, présidée par le ministre des Finances et en présence de quelques membres du gouvernement et les 8 députés de la région de Kasserine, n'ont pas réussi, comme il était souhaité, à calmer la colère et baisser la tension populaire. Le chargé de la communication du ministère de l'Intérieur a expliqué hier que des petits groupes d'une vingtaine de personnes ont réussi à s'infiltrer parmi les protestataires et ont commis des actes de violence et incendié des pneus au niveau de plusieurs intersections dans différentes régions du pays. Walid Louguini a, de ce fait, mis en garde contre ces infiltrés qui, dit-il, «rendent un service inestimable aux terroristes en leur permettant de se mêler à la foule et de commettre des actes criminels. A ce titre, il y a lieu de déplorer la mort tragique de Sofiène Bouslimi, un agent de la brigade de la voie publique, âgé de 25 ans, à Fériana. Une soixantaine d'agents de police et de la Garde nationale ont été également blessés entre mardi et mercredi dernier, selon Louguini. Celui-ci a emboîté le pas au chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, pour déclarer que le droit de manifester est préservé, mais qu'il fallait éviter de commettre des actes de violence pour empêcher les terroristes d'en profiter. Mise en garde relayée par Sami Tahri, secrétaire général de l'Ugtt, qui a avancé que des cellules dormantes sèment le chaos pour relâcher la pression sur les montagnes où sont terrés des terroristes. A signaler que l'armée a pilonné les hauteurs de Kasserine, mont Chaâmbi en l'occurrence, au moment où les protestations populaires faisaient rage. Selon le confrère électronique «Tuniscope», les raisons de la colère populaire se résument en cinq chiffres, pour le moins qu'on puisse dire, suggestifs : baisse de 40% du pouvoir d'achat et hausse du taux de chômage à plus de 15%, du commerce parallèle à 54% du PIB, de la corruption à 2% du PIB et de l'endettement extérieur à 53%. Tensions dans les régions Cela ressemble à une contagion en termes d'émeutes qui se sont propagées sur plusieurs villes et régions, après la mort accidentelle du jeune chômeur Ridha Yahyaoui. Les revendications sont partout les mêmes : travail et dignité. Hier, presque toutes les régions ouest et sud ont connu des protestations populaires revendiquant le droit à l'emploi. Aucun acte de violence n'a été signalé. A Sidi Bouzid, un climat de tension règne depuis mercredi, 20h00, dans les délégations de Regueb, Meknassi, Menzel Bouzaïène et Mazouna (gouvernorat de Sidi Bouzid) où plusieurs manifestants ont bloqué les routes et brûlé des pneus, réclamant l'emploi et le développement, notamment après les décisions annoncées au profit de Kasserine et des régions concernées par la discrimination positive. A Mazouna et Menzel Bouzaiene, les protestataires ont brûlé des pneus, revendiquant la généralisation des décisions annoncées au profit du gouvernorat de Kasserine à toutes les délégations de Sidi Bouzid. Dans la journée, des chômeurs et des ouvriers de chantiers ont fait dégager le délégué de Mazouna. A Gabès, des jeunes de Chenini (gouvernorat de Gabès) ont bloqué, dans la nuit de mercredi à jeudi, la route principale de la ville avec des pneus en feu, pour revendiquer le droit à l'emploi. Les forces sécuritaires ont réussi à disperser les manifestants et le trafic a été rétabli au niveau de cette route. A Ben Arous, des jeunes ont mis, dans la nuit de mercredi à jeudi, le feu dans des pneus au niveau de la route menant au dépôt municipal de la ville de Hammam Chott avant de prendre d'assaut ce dépôt. Le président de la délégation spéciale de Hammam Chott, Ilyes Mhadhbi, a indiqué hier, au correspondant de la TAP dans la région, que les agents municipaux ont lutté contre ce groupuscule jusqu'à l'arrivée des forces militaires et sécuritaires. A Sfax, des groupes de jeunes en chômage ont bloqué, hier matin, la route nationale n°1 au niveau de la délégation de Skhira (gouvernorat de Sfax) et ont mis le feu à des pneus, a constaté le correspondant de la TAP dans la région. Les protestataires ont également entravé le déroulement du travail dans des établissements publics dont la délégation, la municipalité et le bureau de poste. Les protestataires ont refusé tout dialogue avec le délégué et ont réitéré leur demande de dévoiler la liste des noms des jeunes qui seront recrutés au sein de la société tuniso-indienne des engrais «Tifert», dont l'annonce était prévue depuis plus d'une année. Le secrétaire général de l'URT a indiqué que le nombre des dossiers à étudier est estimé à 5.600 dossiers, ce qui a entravé l'achèvement du processus de l'examen de ces dossiers. A Skhira, le délégué, Hafedh Bouaziz, a quitté, quant à lui, hier, le siège de la délégation sous la pression des protestataires qui ont scandé «dégage». Le trafic routier a été perturbé en direction de Sfax et Gabès après le blocage des routes par les protestataire sans toutefois enregistrer des actes de violence ou de pillage, a constaté le correspondant de la TAP dans la région. A Béjà, des jeunes en chômage, dont des ouvriers de chantiers, des diplômés de l'enseignement supérieur, des enseignants (suppléants), ont envahi hier le siège du gouvernorat de Béja, pour revendiquer le droit à l'emploi. Deux jeunes ouvriers de chantiers, parmi les protestataires, se sont faits couper les veines au niveau du poignet, a constaté la correspondante de la TAP dans la région. Un blessé a été transféré à l'hôpital alors que le deuxième a refusé de recevoir les soins nécessaires. Les enseignants suppléants ont appelé à appliquer l'accord conclu depuis 2008. Les ouvriers de chantiers ont revendiqué le droit à régulariser leur situation professionnelle qui demeure instable et de stopper la politique de marginalisation de la région. Le gouverneur de Béja, Hassine Hamedi, a souligné dans une déclaration à la TAP qu'un dialogue a été établi avec les protestataires dans le but de déterminer les demandes des jeunes et de les transmettre à la présidence du gouvernement. A Jendouba, des centaines de jeunes sans emploi ont envahi hier le siège du gouvernorat de Jendouba pour revendiquer le droit à l'emploi et la régularisation de la situation instable des ouvriers. Les protestataires ont appelé à faire bénéficier le gouvernorat de Jendouba des mesures prises mercredi au profit de Kasserine estimant que Jendouba, classé à l'avant-dernière place sur le plan de développement, nécessite des mesures urgentes au profit de ses habitants. Le gouverneur de Jendouba, Habib Skandrani, a indiqué dans une déclaration à la TAP que le ministère des Finances avait promis des mesures qualifiées d'importantes au profit des ouvriers de chantiers et ceux du mécanisme 16, et ce, à partir du lundi prochain. A Kébili, les forces sécuritaires à Kébili ont fait usage, hier, de gaz lacrymogène pour disperser les manifestants dans la délégation de Souk Lahad et assurer la protection des biens publics et privés après la vague de protestations enregistrée dans la région depuis le matin devant le siège de la délégation. Des jeunes protestataires revendiquent le droit à l'emploi et au développement. Les élèves des écoles primaires dans la localité de Bou Abdallah, près du siège de la délégation, ont été contraints de quitter leur établissement et les cours ont été suspendus au lycée de Manchia dans la région afin d'épargner aux élèves l'inhalation du gaz lacrymogène, a affirmé une source responsable dans la région. A Tozeur, des protestataires diplômés du supérieur ont décidé de mener un sit-in ouvert à l'intérieur du gouvernorat pour revendiquer des solutions urgentes à l'emploi et au développement dans la région. Il a été convenu avec le gouverneur de la région de préparer une motion des revendications régionales pour l'emploi des diplômés du supérieur, la régularisation de la situation des travailleurs de chantiers et du mécanisme 16 et de les transmettre à la présidence du gouvernement. Des mouvements de protestation ont eu lieu dans la délégation de Nefta, menés par des jeunes sans emplois qui ont bloqué la route nationale numéro 3 reliant Tozeur à Nefta. A noter qu'un groupe de sept jeunes chômeurs de Kasserine, dont les noms ont été supprimés de la liste des recrutements de la direction régionale de l'éducation, a été reçu, hier, par les élus de la région à l'Assemblée des représentants du peuple. Sonia Nasri, membre du groupe et diplômée en gestion, a indiqué avoir observé ainsi que le reste du groupe un sit-in en février 2015 à l'issue duquel on leur avait promis de régler leur situation. Certains parmi les sit-inneurs n'ont pas trouvé leur nom dans la liste publiée dernièrement, a-t-elle ajouté dans une déclaration à la presse, déplorant les promesses qui n'ont pas été tenues. Nous n'avons trouvé aucune oreille attentive à Kasserine, a-t-elle dit. Nous nous sommes, alors, dirigés vers les élus de la région dans l'espoir de surmonter ce problème. Elle a indiqué que les députés leur avaient promis de trouver une solution définitive à cette question.