Plusieurs formes de crimes sexuels dont le grooming ne figurent pas dans le code pénal Les agressions sexuelles à l'encontre des mineurs sont devenues de plus en plus fréquentes dans le monde et en Tunisie. Alors que le comité des droits de l'enfant des Nations unies a défini et classifié les différentes formes d'agressions sexuelles suivant leur nature et que les pays du Conseil de l'Europe ont adopté une convention spécifique qui a identifié six formes principales d'agressions sexuelles à l'encontre des mineurs dans les articles allant de 18 à 23 (agression sexuelle à l'encontre d'un enfant, exploitation sexuelle des enfants dans des films et des spectacles sexuels, sollicitation des enfants à des fins sexuelles...), le gouvernement tunisien n'a non seulement pas ratifié cette convention mais la législation tunisienne reste, par ailleurs, générale sur la définition de la violence sexuelle, note le magistrat et expert auprès de l'Unicef Lazhar Jouili, dans une étude qu'il vient de réaliser sur les crimes sexuels à l'encontre de la femme et de l'enfant. Le terme de crime sexuel, qui est cité dans le code pénal et le code de protection de l'enfance, est défini de manière générale sans qu'il y ait de textes spécifiques relatifs aux agressions sexuelles subies par des mineurs, note le magistrat. Manque de clarté Par ailleurs, le chapitre trois du code pénal, qui définit les différents infractions, délits et crimes sexuels ainsi que les peines qui sont prévues à l'encontre des agresseurs en fonction de la nature de l'agression, ne prévoit pas de disposition spécifique pour les enfants. A titre d'exemple, l'article 226 bis du code qui prévoit une peine de six mois d'emprisonnement et une amende de 1.000 dinars pour toute personne ayant attenté à la pudeur ou qui incite à la débauche ne prévoit pas de disposition spéciale pour les enfants qui sont incités à la débauche par des adultes, dans le cas de visionnage de films pornographiques à titre d'exemple. Le même article manque de clarté et reprend les termes du décret de 1945 devenu caduc et inadapté à la situation actuelle. S'agissant du harcèlement sexuel, l'article 226 ter prévoit certes un doublement de la peine pour les personnes qui ont harcelé sexuellement des enfants. Toutefois, les poursuites ne peuvent être déclenchées qu'à la demande du ministère public qui peut, s'il le désire, prononcer un non-lieu. Dans ce cas, l'accusé a la possibilité de demander réparation pour diffamation. Autre vide juridique : le texte ne prévoit pas de disposition particulière pour les enfants souffrant de handicap. Par ailleurs, selon l'expert, rendre le déclenchement des poursuites tributaire de la volonté du ministère public limite l'accès de l'enfant à un procès équitable et constitue une dérogation aux principes généraux en matière de procédure pénale, a souligné l'expert. «Les dispositions de l'alinéa 4 peuvent être considérées comme une intimidation de la victime et une atteinte à son droit d'accès à la justice», a-t-il expliqué dans son étude. Des défaillances dans le texte de loi L'expert juridique pense, en effet, que certaines défaillances doivent être corrigées en réécrivant et en amendant les articles actuels du code pénal. A titre d'exemple, l'article 227 définit essentiellement le viol comme étant la pénétration du vagin par le pénis commis sous la contrainte ou la violence, omettant de citer d'autres formes de viol, à l'instar du viol anal, buccal ou avec un objet alors qu'ils s'agit de formes de viol fréquentes à l'encontre des mineurs. Pourtant, les peines ne sont pas définies clairement pour ce type de viol. Le texte de loi est émaillé de contradictions et de non-sens, selon maître Jouili, et la peine diffère suivant l'âge de l'enfant. Le paragraphe 2 de l'article 227 prévoit la peine de mort pour un viol commis sans usage d'arme ou de violence sur un mineur de dix ans et le dernier paragraphe du même article prévoit la prison à vie pour le crime de viol commis sur un enfant âgé de moins de 13 ans mais le texte de loi ne prévoit pas de circonstance aggravante pour les crimes de viol qui ont été commis par des proches et des membres de l'entourage de la victime. En outre, autre aberration: l'article 227 bis du code pénal prévoit une peine légère de six ans pour un agresseur qui a violé une enfant de moins de 15 ans sans présence de trace de violence. La peine est réduite à cinq ans si l'enfant est âgée de plus de 15 ans. Pis, le mariage de l'agresseur avec la victime annule la peine. D'un autre côté, la loi établit une distinction entre les crimes de viol et d'attentat à la pudeur commis sous la contrainte et ceux commis sans recours à la violence. Bien qu' il s'agisse de viol commis sur un mineur, la peine est réduite si des traces de violence n'ont pas été relevées. Or, il est difficile surtout dans les cas de viol et d'attentat à la pudeur de prouver qu'ils ont été commis sur des mineurs sous la contrainte, en usant de la force. «Le code pénal doit être revu afin d'y introduire des textes spécifiques aux délits et crimes commis à l'encontre des mineurs. Il faut également revoir les conditions d'allégement des peines ainsi que de l'amnistie dont bénéficient les coupables de crimes de viol et d'attentat à la pudeur commis à l'encontre des enfants et prévoir des peines pour les nouvelles formes de viol, à l'instar du grooming qui est un crime sexuel commis à l'encontre des enfants via internet. Il faut tout simplement une législation spécifique pour les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs», conclut le magistrat.