Il y a quelques années, un père ou une mère de famille pouvait rentrer à la maison avec, dans son panier, un peu de fromage (camembert, roquefort, gruyère...), des tablettes de chocolat ou quelques fruits secs (amandes, cacahuètes, pistaches, pignons...). En dépit des prix de l'époque, il était possible pour un Tunisien moyen de s'offrir ces quelques «(ré) jouissances». Ne fût-ce qu'une fois par mois ! Aujourd'hui, ces bonnes vieilles habitudes sont des souvenirs lointains. De tels produits et d'autres que tout le monde connaît sont devenus des produits de luxe que ne peuvent acheter que ceux qui ont les poches pleines. Un consommateur raisonnable ne peut plus se permettre de tels écarts dans les dépenses et se limite à l'essentiel. Secteur incontrôlé et incontrôlable ? Des prix prohibitifs sont à l'origine de ces privations. Apparemment, rien ne peut justifier de telles augmentations de prix. Depuis la fin de 2011, la courbe est à la hausse et de façon vertigineuse. Chaque mois on assiste à de nouveaux tarifs. Les fruits secs, par exemple, sont à leur plus haut niveau et on peut affirmer qu'on n'a jamais assisté à cette flambée incessante. Certains articles ont doublé ou triplé en moins de 5 ans. Ce qui est inconcevable. Toutes les explications avancées ne peuvent justifier cette folie sur les marchés. Le Tunisien n'est pas dupe car il sait qu'il y a des facteurs économiques objectifs dont il faut tenir compte. Il sait, pertinemment, que certains articles sont importés et subissent, donc, le jeu de l'augmentation des prix en raison de la dépréciation du dinar face aux devises (c'est, du moins, l'explication avancée). C'est vrai, aussi, que le secteur des fruits secs connaît une hausse des coûts au niveau des marchés externes. Quant à notre production d'amande, à titre d'exemple, elle aurait baissé de près de 25 %. Nous en récoltons, généralement, entre 50 et 60.000 tonnes/an. Les pistaches, aussi, se développent dans le Centre à un rythme soutenu (Kasserine dispose d'une quantité annuelle de près de 1.500 tonnes annuellement) qu'il faudrait préserver de la spéculation. Autrement dit, l'offre est inférieure à la demande. Automatiquement il s'ensuit une augmentation des prix selon la logique et la loi du marché. Cela n'empêche pas qu'il y a une autre logique : celle de la spéculation. Il existe, assurément, des mains qui manipulent le secteur pour maintenir les prix au plus haut. C'est d'ailleurs le cas pour beaucoup d'autres secteurs. Le contrôle économique ne peut rien faire dans ce sens pour plusieurs raisons. On estime, à juste titre peut-être, que ces produits ne sont pas de première nécessité et, par conséquent, on laisse le champ libre aux commerçants pour fixer les prix. De plus, les services concernés ont d'autres chats à fouetter dans les filières de priorité, à savoir les produits de consommation courante. En outre, la complexité des circuits et la détermination de l'origine du produit peuvent poser problème. En effet, l'importation des fruits secs et leur commercialisation obéissent, en principe, à des réglementations. Les importateurs sont tenus de payer des droits de douane qu'ils répercutent sur les prix au gros et au détail. En 2012, le ministère du Commerce et de l'Artisanat avait consenti une réduction de 10% au niveau des taxes douanières imposées sur les variétés de fruits secs. D'autres mesures avaient été prises à l'occasion, justement, de l'Aïd El Fitr consistant à limiter les marges de profit pour les grossistes et les détaillants. Il en a résulté, pour les amandes, une marge bénéficiaire maximale de 450 m/kg en gros et 1.200 m/kg au détail. Pour les noisettes, la marge bénéficiaire maximale a été fixée à 600 m/kg pour la vente en gros et 2.000 m/kg au détail. S'agissant des pistaches, cette même marge varie de 1.100 m/kg au gros et 2.300 m/kg au détail. Qui fait la loi ? Mais, comme on le voit, rien n'a changé. La machine s'est de nouveau emballée. Les achats pour la préparation du gâteau de l'Aïd de cette année n'ont pas connu de répit. La montée en flèche des prix auprès de ces commerçants de détail n'a pas connu la détente attendue. On a, même, l'impression qu'une éventuelle baisse n'est pas pour demain et que les vendeurs de fruits secs n'en font qu'à leur tête. Au milieu de cette anarchie totale, on oublie de parler de la qualité qui est souvent mauvaise. Comment, avec des prix aussi chers, ces vendeurs osent-ils nous refiler de la camelote ? Le goût trahit des produits mal stockés et avariés. Lorsqu'il s'agit de pignon à 60 ou 65 dinars le kg, le préjudice est certain. Il est vrai, d'un autre côté, que même les petits vendeurs (hammassas) ne parviennent plus à écouler les amandes ou les cacahuètes comme avant tellement les prix paraissent cher. Or, les clients étaient plus nombreux à acheter 50 ou 100 grammes de ces articles pour les grignoter en attendant un bon repas. Ce n'est plus le cas, actuellement. Certes, ces petits commerçants (qui gagnent très bien leur vie entre nous) se débrouillent tant bien que mal et essayent de moduler leurs activités pour maintenir le cap et s'assurer de meilleures recettes journalières. Aussi, s'adonnent-ils à la vente de cartes de recharge pour téléphones portables, de sucreries pour les enfants, de pétards —malgré l'interdiction—, de glaces, etc. en plus des traditionnelles cigarettes qui constituent le fer de lance de leur commerce. Augmentation des prix des fruits secs ou pas, les «hammassas» ont de beaux jours devant eux. Leur nombre est en évolution constante et des milliers de personnes s'intéressent à ce métier très simple qui ne mobilise pas beaucoup d'investissement mais qui, semble-t-il, peut rapporter gros. Si on estime, aujourd'hui, les effectifs de ces commerçants entre 30 et 50.000, il est possible que ce soit un jour le métier de Monsieur «Tout le monde». Ne se répand-il pas dans chaque quartier comme une traînée de poudre ? Face à tous ces facteurs, les autorités auraient pu intervenir plus énergiquement depuis le démarrage de ces pratiques et de ces manœuvres. Pour l'heure, il n'est pas trop tard pour stopper cette escalade vertigineuse des prix. Intervenir, de nouveau, au niveau des taxes douanières et de la limitation des marges bénéficiaires ne peut avoir que des conséquences bénéfiques pour le consommateur. Mais ces mesures ne doivent pas être conjoncturelles. Au volet de la production intérieure, il serait opportun de sensibiliser nos agriculteurs d'amandes, de pistaches, de pignons et de grains de tournesol et les soutenir en vue d'écouler leur récolte à travers des circuits assainis. C'est mieux que de dépenser nos devises pour l'achat de marchandises disponibles chez nous.