Par Mahmoud HOSNI Qui oserait aujourd'hui se regarder dans la glace, droit dans les yeux, pour rendre des comptes à cette Tunisie malmenée, ballottée par les querelles de clocher et des clans politiques en quête de clientélisme et de leadership ? Qu'a-t-on donné à ce pays qui a longtemps ployé et gémi sous les coups de boutoir de la dictature, du népotisme et la seule voix — et voie — du parti unique ? Aujourd'hui, six ans après la révolution, la Tunisie est un navire qui tangue, qui prend l'eau même, sous l'effet de la grave crise économique. Les caisses sont presque vides, toutes les entreprises publiques connaissent un déficit sans précédent, l'économie est au point zéro, ou presque, le tourisme est en berne. Bref, la machine de production est bloquée, aggravée par les sit-in et les grèves sauvages. Comble du paradoxe: on importe du phosphate pour faire tourner les unités de Gabès, alors que le bassin minier et le chemin de fer sont pris en otage, et que le phosphate était la mamelle qui nourrissait l'Etat et le pays, grâce à la manne de devises et aux marchés traditionnels de la CPG. L'Etat est aujourd'hui non seulement impuissant à maîtriser la situation et à juguler ces dérives sociales, mais il est lui-même déclaré hors-la-loi, avec le rejet de lois importantes pour inconstitutionnalité. Un tableau sombre, voire inquiétant, avec les nuages noirs qui s'accumulent à l'horizon et qui n'annoncent rien de bon. Ainsi aucun des cinq gouvernements successifs n'a réussi à redresser la barre et à redonner quelque espoir aux millions de Tunisiens que le train de la révolution a laissés sur le quai, ceux-là mêmes qui ont fait la révolution. La barque, finalement cédée à Habib Essid pour la mener à bon part, a encore pris l'eau. Ce navigateur solitaire, confiné dans sa cabine, agissant en grand commis de l'Etat, a finalement manqué de décision et de poigne pour pouvoir remonter le courant. Alors, de guerre lasse, on lance un ballon d'essai. Il faut un gouvernement d'union nationale pour tenter de reprendre les chose en main. Réunions, palabres, les positions sont contradictoires. Il y a ceux qui sont pour le départ d'Essid et qui sont pour le maintien de l'équipe actuelle. Les calculs étriqués et étroits ont fait perdre de vue l'avenir de la Tunisie. Et puis on ne change pas un cheval qui gagne. Et sur ce point, Habib Essid a perdu sa course et son pari. Ni programme cohérent, ni apparemment cohésion de l'équipe gouvernementale, ni encore des réalisations concrètes et visibles qui ont généré une dynamique quelconque dans les régions intérieures. On change les navigateurs donc ? Pour aller où, alors que les graves problèmes qui font saigner le pays sont toujours là : corruption, contrebande, népotisme, avec deux dossiers lourds sur les bras : les assassinats de Haj Brahmi et de Chokri Belaïd avec les coins d'ombre qui pèsent et les secrets des antichambres de la justice et de pouvoir qui persistent malgré les démentis... Dans un pays où l'état d'urgence est banalisé et est réduit à un simple décret, il ne semble y avoir aucune urgence à tous ces maux qui le rongent et qui rongent les Tunisiens, alors que notre responsabilité morale est totalement engagée mais nullement assumée. Le pays marche aujourd'hui à deux vitesses : celle des politiciens qui se battent pour les privilèges et les hautes fonctions et celle des citoyens qui attendent un emploi, de quoi manger...