Entraîneurs ou joueurs, les dirigeants des grands clubs tunisiens ont déjà passé ce stade émotionnel. Le public pas encore Passé en quelques heures de héros à coupable, Montassar Louhichi est aux yeux du public du CA (via les réseaux sociaux où le public virtuel est aujourd'hui le premier acteur) quelqu'un qui a abusé de la confiance de ses fans, quelqu'un qui a spolié le CA, le club qui lui a permis d'être célèbre. Toute cette déferlante de critiques acerbes, de diffamation exécrable de la part du public clubiste est expliquée par le départ de Louhichi à l'ESS. Lui, qui était tout proche de faire son «come-back» au Parc A. C'est une trahison pour les jeunes supporters clubistes emportés en grande partie, comme ceux des clubs concurrents, pour cette fibre émotionnelle et cette «possession» envers les joueurs et l'entraîneur du club. C'est une attitude qui se comprend de la part des jeunes supporters ayant le défaut de raisonner avec le cœur et les émotions avant la tête. Mais pour le cas de Louhichi, on voit, quand même, que beaucoup de supporters adultes se sont associés à cette déferlante de déconsidération de Louhichi, auteur d'un crime impardonnable. Ça prouve une chose : les supporters des grands clubs tunisiens sont, en grande partie et jusqu'à ce moment, otages d'une attitude possessive envers les joueurs ou entraîneurs qui ont porté les couleurs de leur club. Ils sont encore intransigeants envers la «fidélité» aux couleurs de ce club. Passer à un adversaire direct est, selon cette attitude, un crime d'infidélité et un déshonneur. Ces mêmes personnes qui voyaient en Louhichi l'artisan du titre de 2015 virent à 180 degrés pour l'attaquer. Fou comme raisonnement, original même et ça s'applique à tous les supporters des grands clubs. On a beau parler de professionnalisme, de libre circulation de joueurs, de loyauté envers le club et non envers les personnes, de relation contractuelle, il y a certains joueurs, entraîneurs qui «n'ont pas le droit» de changer de couleurs sous peine d'être traités de tous les maux. Exemples Cette histoire n'est pas nouvelle, elle est ancienne, que ce soit dans le football tunisien ou international. Du football amateur ou football professionnel, le passage de certaines joueurs a créé de vives polémiques. On se souvient tous de ce que Luis Figo a enduré, lui qui a lâché le Barça au summum de sa carrière pour rejoindre le Real Madrid. Pourtant, on était en plein football professionnel. Le cas Mathias Sammer, légendaire libéro de B. Dortmund, est significatif : lui qui était le préféré du public de Dortmund ne l'est plus depuis qu'il est directeur sportif au Bayern Munich, l'ennemi juré. Cassano (du Milan à l'Inter), Balottelli (de l'Inter au Milan), Baggio (de la Fiorentura à la Juve) sont aussi des cas inoubliables où la passion se transforme vite en haine et en disgrâce. Nous ne sommes pas loin de cela. Pire, nous vivons ce réflexe émotionnel comme si nous sommes encore en plein années 70. Et pourtant, paradoxalement, nous avons déjà brisé ce tabou. Le passage de Nebil Maâloul au CA (en tant que joueur libre venant du CAB) est pour certains supporters «sang et or» une tache noire dans sa carrière. Herguel, par exemple, regrette vivement son transfert à l'EST en 1992. Et pourtant, les choses ont bougé surtout avec la navette entre l'EST et l'ESS de plusieurs joueurs début des années 2000. M'kademi, Jelassi, Clayton, Mogaâdi, Ben Younes, joueurs-clés à l'ESS, se sont rués vers le Parc B, alors que Bokri, Kandia Traoré ont pris le sens contraire. C'était dans le cadre d'une guerre froide entre l'ESS et l'EST. Souayah a aussi cassé cette règle en passant du CSS à l'EST dans un transfert problématique où le CSS n'a pas encaissé le moindre sou jusqu'à aujourd'hui. En handball, l'exode des joueurs du CA pour l'EST (Chouiref, Boughanmi, Mahmoudi...) et de l'EST vers le CA (Bahri, Guendoura...), auraient dû changer les choses. Ce n'est plus un tabou, mais en même temps, ça crée encore la polémique. Ça ne passe pas inaperçu. L'attachement à l'identité du club rend les supporters otages de cette idée. Ils possèdent certains joueurs, certains entraîneurs qui ont réussi, qui ont atteint le stade de stars. Remarquez bien que certains joueurs passent d'un club à son rival sans qu'il y ait autant de contestation. Il faudra comprendre une chose : le club ne peut pas posséder ses joueurs. Ces derniers, comme l'entraîneur ou le dirigeant, cherchent à jouer, à réussir. Le club ne peut pas empêcher, au nom de la fidélité et de la loyauté, de voir ailleurs si c'est ce même club qui n'en a plus besoin. C'est aussi simple que cela.