Les fans clubistes sont habitués aux changements d'humeur. Ils sont méditerranéens, donc, obligatoirement excessifs dans leurs sentiments, mais ils assument. En clair, les supporters alternent les espoirs les plus fous, les périodes fastes avec les déceptions et malaises chroniques. Mais de toute évidence, l'identité du CA est à l'image du large public clubiste, multi-visages, uniforme et surtout pas linéaire. Dimanche, à Radès face à l'OSB, le facteur nouveau, c'est ce soutien infaillible malgré les derniers déboires de l'équipe. Cela a forcément marqué les esprits. Cette présence et ces chants des fans qui ont animé toute la rencontre du début à la fin. Voilà ce qu'est la grandeur d'âme d'un «Cops» qui a pourtant bu le calice jusqu'à la lie ces derniers temps. C'est qu'au creux de la vague, le CA avait «la tête dans le sac». Mais en foulant le terrain, le onze clubiste était tellement envahi par l'émotion que son jeu a été crispé, bien que volontaire, sorte d'effet d'un trop-plein d'adrénaline. Après le merveilleux accueil réservé à leurs joueurs, côté Curva Nord, les fans se découvrent plus fidèles que jamais. Le cinglant revers face aux Bardolais n'a en rien ébranlé leur foi. Peu importe le statut de simple figurant en championnat, ils ont affiché avec fierté leur attachement envers leurs couleurs, entonnant à haute et intelligible voix le récital des slogans clubistes. Forcément, cela permet de développer un véritable sentiment d'appartenance et surtout d'éviter que le spleen ne s'installe suite aux revers à répétition. S'il y avait des commandements dans le guide du supporter, ils seraient sans doute comme aperçu à Radès dimanche: s'identifier à son équipe. Ne point la laisser tomber. Faire preuve de loyauté et de fidélité, dans les bons comme dans les mauvais coups. Le rapport entre le supporter et son équipe est de toute évidence assimilé à celui qui lie deux personnes fusionnelles dans une histoire d'amitié. Un mariage non consommé ! Des joueurs pour la plupart non issus du cru, l'argent qui coule à flots, un trop-plein de marketing et de merchandising, des billets délivrés au compte-gouttes et hors de prix... Emportée par la fièvre néolibérale, l'équipe légendaire clubiste n'est plus ce qu'elle était. Il pleut des tacles au royaume de Bab Jedid, surtout quand les résultats ne suivent pas et que le CA est déchu, bousculé de son piédestal. Au départ, en milieu de phase aller du championnat, ce n'était que quelques sanglots discrets. Puis les larmes sont devenues plus abondantes, à tel point qu'une grande partie des afficionados sont tombés dans un délire et stress post-traumatique aigu. Le CA est devenu un parfait concentré de tous les excès du néolibéralisme avec son mercato «bling-bling» et sa notoriété à l'impact planétaire via ses shows télévisuels où l'on ne parle que du quotidien du Club Africain. Tous ses dirigeants, tenants et aboutissants doivent pourtant comprendre que, pour certains irréductibles, il n'y a que le club pour défendre leur honneur. Ils sont mis à contribution, bravant les caprices du temps et tous ses aléas spatio-temporels. Ils incarnent un passé et un état d'esprit, celui du football populaire dont il ne reste pas grand-chose en vérité. En clair, tout a changé pour un club passé sous pavillon de personnes argentées mais encore justes, volet expérience et culture sportive. Certes, grâce à leur manne providentielle, le CA a évité une sorte de «dépôt de bilan». Cependant, beaucoup s'inquiètent de cet unilatéralisme décisionnel au détriment d'un management de type collégial. Le CA d'avant, populaire et attachant, a du plomb dans les tibias. Est-ce forcément un problème, affirment certains ? L'impact sur le jeu de l'équipe est-il négatif? Pas forcément. Car la dimension spectaculaire du football est même plus forte qu'avant ! Le CA attire des joueurs, les meilleurs joueurs, ou supposés tels, dans l'espoir de les voir marquer, s'épanouir sous la tunique «rouge et blanc». Mais c'est une fuite en avant. Beaucoup parmi eux deviennent des mercenaires... Le mirage entretenu On ne construit que sur la durée. L'argent n'est pas l'unique carburant du football professionnel. Pourtant, il est devenu l'obsession des dirigeants et pas seulement, comme ces indemnités colossales échangées pendant la période des transferts. Puis, il y a les agents qui peuvent toucher jusqu'à 10 % des indemnités. Pour ces intermédiaires, le mouvement sur ces marchés rapporte, alors que l'immobilité ne rapporte rien. Ça crée un bazar invraisemblable au sein des équipes, une pression absurde de la part des supporters. Les clubs se retrouvent à faire des erreurs fatales, comme le Club Africain avec les recrutements de Nouioui, Touzghar, la filière ghanéenne, Belkaroui, Dahnous, etc. Cette folie des transferts a provoqué une hallucinante inflation des contrats au sein d'un CA considéré comme le plus gros payeur de la Ligue 1, parfois même pour rien. Du coup, le CDF (sis au Parc A), ratisseur jadis de tous les meilleurs jeunes de la région, n'arrive plus à sortir que quelques joueurs pros. On vide les campagnes des gamins les plus doués, mais ensuite leur rêve se brisera parce qu'ils ne seront pas assez forts pour faire partie de l'équipe A du CA. Le bilan humain de ce mirage entretenu par les clubs professionnels est désastreux. Qu'à cela ne tienne. Dans les faubourgs de Bab Jedid, l'engouement des supporters ne semble pas souffrir de cette fièvre libérale, même si l'âge d'or est révolu. C'est chronique et inévitable. Pour gagner, il faudra dépenser encore plus, étoffer son effectif, et donc aller vers une logique plus libérale encore... au risque de tuer l'âme du CA. Tantôt tiraillés, un tantinet désabusés. La logique financière impose sa loi, sa dictature. Et après, que l'on ne vienne pas nous dire que le football n'est qu'un sport ! C'est un identifiant dans le cas du CA. «You'll Never Walk Alone» !